Des corps meurtris, décapités, pendus, crucifiés, écrasés. Sur de grandes toiles de plus de deux mètres sur trois, les gris -allant du blanc au noir- se blessent de rouge sang. Dans le bel et vaste espace qu’offre la galerie de la fondation Coprim, Vladimir Velickovic expose ses nouvelles variations sur un même thème : la violence humaine et la douleur qui en découle. Lorsque l’artiste est arrivé à Paris en 1966, il poursuivait déjà sa quête vers une représentation de la souffrance, pour exprimer peut-être le trop plein « d’images de guerre » qu’il avait en mémoire. Si les épaisseurs de peinture dans les plaies béantes évoquent des morceaux de chair se détachant, que les tonalités sourdes sonnent comme des gémissements, on s’attendrait, en revanche, à un dessin plus tendu, à des corps plus consistants, pour donner toute la force inhérente au sujet. A la vue de ces œuvres, on ne peut qu’imaginer l’artiste peignant, les dents serrées, à larges et vifs mouvements de brosse, envisageant chaque trace de peinture comme autant de coups de poing donnés contre l’indifférence ; mais à l’approche des toiles, la colère n’apparaît pas si mordante. On aimerait avoir le ventre noué par tant de violence (tant dans ce qui est représenté que dans la volonté qui a motivé chaque geste), mais les œuvres n’atteignent pas la tension nécessaire.
Il faut l’avouer : on vient voir Velickovic avec l’idée que l’on va être secoué, non par des déballages d’atrocités minutieusement retranscrites, mais par l’énergie de la création. Cependant, on pressent ici une volonté de prise de distance, un regard froid comme celui que renvoie le journal télévisé -qui en arrive, d’ailleurs, à banaliser la souffrance. Les œuvres de Velickovic semblent hésiter encore entre la mémoire toujours vive et le nécessaire et inévitable recul venant avec le temps. Au fond de la galerie, les œuvres sur papier, de format plus modeste, représentent des visages défigurés devenus amas de chair. Est-ce cette palette de roses un peu trop vifs, presque vulgaires ? ces portraits non identifiables violentent le spectateur, le heurtent davantage que les grandes toiles. Peut-être que le sujet ainsi recentré, qui plus est sur un format assez réduit, n’épuise pas la force du geste de l’artiste.