Faire se rencontrer, comme sur un ring, Jason Voorhes (le tueur de Vendredi 13) et le non moins criminel Freddy Krueger, avait autant de chance de déboucher sur un grotesque carnaval bricolé que sur une mise en abyme relevant de la plus jouissive aberration. Le film tient un peu des deux, en fondant ensemble les programmes respectifs de chacun des monstres : étriper de la bimbo qui dérape et du boy qui s’encanaille pour l’un (avant le sexe ou la drogue, l’apparition de Jason en guise d’apéritif sauvage et réprobateur), recouvrir les rêves adolescents de fleurs de sang pour l’autre. Le meilleur du film est là, non pas dans l’affrontement mais dans cette alliance de circonstance motivée par un déficit de notoriété de Freddy -disparu des écrans depuis bientôt dix ans, il s’est, de son propre aveu, fait oublier de ses victimes au point de ne plus faire peur à personne : il a donc besoin de la machette de Jason pour se rappeler au bon souvenir des habitants d’Elm Street. Jason, dont la série des exploits se poursuit dans l’anonymat, presque comme une malédiction, et qui n’a rien demandé à personne, se retrouve donc à jouer les marionnettes tueuses pour Freddy. Mais lorsque ce dernier se rend compte que son sbire est une âme en peine qui n’a jamais son compte de victimes, la concurrence devient insupportable.
Davantage que deux corps (un reptile amoché contre un tronc massif et bourru), ce sont deux éthiques du meurtre qui s’affrontent. Freddy, prétexte à tous les détraquements morphiques, face à la rugueuse insistance (à zigouiller, à ne pas mourir) de Jason : là se joue toute la différence entre deux corporations de l’épouvante, entre la perversité grand guignol et décadente de Freddy (un sale type, vraiment) et la servitude volontaire, l’innocent zèle sanguinaire de Jason (son côté bon bougre qui en a gros sur la patate). Violence épaisse versus perfidie rigolarde et vaporeuse : Ronny Yu parvient à cultiver les différences, même s’il semble plus attiré par les tours de passe-passe de Freddy. Déluge de visions hallucinées pas toujours de la plus grande élégance et orgie de globules rouges : Freddy comme metteur en scène bis du film enclenche chez le cinéaste un réflexe de solidarité confraternelle tandis que Jason, l’acteur pur, n’a droit qu’à une considération relative (venir sur le plateau, trucider du figurant et retourner dans sa loge-caravane). Freddy contre Jason prend des allures d’épopée de la division du travail, où la transformation finale du couple maudit en espèce de Laurel et Hardy de l’horreur s’avère presque émouvante et dérisoire.