Face à l’abjection et à l’ignominie, Hugues Pagan crée au fil de ses romans une œuvre dense et profondément attachante. Avec Dernière station avant l’autoroute, il confirme sa parfaite maîtrise des récits crépusculaires.
Longtemps, on a pu croire que le lecteur de romans noirs ne se distinguait pas de l’amateur du Club des cinq. Ce jugement a été bien heureusement infirmé par quelques auteurs (dans le désordre : Hammet, Chase, Chandler, Manchette, Siniac etc.). Ecrivain rare, Hugues Pagan fait sans conteste partie de cette famille pour qui Balzac (celui d’Une Ténébreuse affaire) et Edgar Allan Poe, pour le côté cartésien, furent des pères honorables. Son art distancié, retenant le plus possible, explique notamment la noblesse de son style. Car il n’y a aucune effusion dans ces pages serrées, lancées comme un défi au cœur du sens, même si elles restituent tout du long une note âpre. Mais qu’en est-il de cette nouvelle rapsodie pour une époque défunte ?
Le décès d’un sénateur ayant laissé sur une disquette – ne nous méprenons pas, ce sont les ordinateurs qui possèdent dorénavant la mémoire – des informations compromettantes est le point de départ d’une intrigue complexe où un officier de police judiciaire d’un genre un peu spécial se trouve mêlé. Hugues Pagan le montre sans haine, mais avec une certaine rage au cœur, ce qui est légitime lorsque l’on se confronte d’aussi près à l’ignominie de ses contemporains. Bien qu’impliqué dans cette enquête, il semble avoir définitivement quitté le monde truqué de la police et abandonné les illusions qui lui permettaient de maintenir ses conditions de survie. L’auteur s’en défend très bien lui-même : « C’est notre propre douleur, au fond, qui nous protège le mieux contre les pièges et les tentations de la vie, contre nos lâches ambitions de bonheur, nos tristes et déraisonnables envies de durer. Durer d’ailleurs, c’est seulement la viande qui le veut, l’âme il y a bien longtemps déjà qu’elle a décroché, qu’elle a dévalé en pente douce, sur la pointe des pieds, le mince chemin de la vie, qu’elle s’est perdue de trop de souffrance et d’amertume, de trop de clairvoyance, surtout. De tristesse. Rien de plus triste qu’une âme égarée. » Et si nulle Rédemption n’est à chercher auprès des femmes, celles-ci occupent une place prépondérante dans son univers. Bien après leur passage, leur visage nous est encore proche.
Hugues Pagan fait partie de ces écrivains courageux qui apportent de l’humeur et des couleurs au langage de notre temps. Héros de notre intime depuis la parution de L’Etage des morts, il demeure exemplaire. Par une grâce que l’on ne saurait expliquer, la bêtise lui est toujours défendue. Par les temps qui courent, ce n’est pas rien.