France-Allemagne-Autriche-Hongrie-Roumanie… et, enfin, atteindre Jérusalem. Sept mois d’un itinéraire de souffrances (physiques, morales) mais aussi de joies (les deux pouvant être mêlées). « Il faut partir ; qu’importe s’il s’agit d’une destination réelle ou imaginaire » ; revêtir l’habit du pèlerin, se préparer à soutenir un effort sortant de l’ordinaire, croire en ses forces. Bref, tout miser, et parier sur cette aventure intérieure dont on ne connaît que l’objectif final : une ville, Jérusalem. Au centre de ce long périple se trouve la Foi. Cette question pourrait paraître grotesque à la plupart de nos contemporains, qui préfèrent se perdre dans les paradis festifs que leur livre la société marchande. Ce récit participe d’autre chose, d’une donnée que nous avons perdue de vue : l’humilité de l’effort inscrit dans la durée.
Au cours de ce voyage initiatique, les arts prennent une place non négligeable. La Beauté se révèle aux yeux du promeneur solitaire. D’église en prieuré, de monastère en ville (à l’austérité des villes rhénanes ou autrichiennes succède la chaleur de celles de l’Est et de l’Orient), le pèlerin poursuit sa route, obstinément. Les rencontres soulagent parfois sa peine (celle de Ernst Jünger à Wilflingen, la vue d’un visage, celui d’une jeune femme, noyé dans la foule des rues de Budapest, de paysans l’accueillant comme un membre de leur propre famille). Son passage éveille les curiosités, suscite des échanges. Et aussi de vives tensions, comme à Istanbul, ville grouillante et baignant dans un climat où l’agressivité peut se manifester à tout moment.
Le ton, pourtant tout en retenue, accumulant les instants volés à la fatigue, laisse échapper des moments de lyrisme. Ce qui ne va pas sans maladresses -maladresses qui ne sont rien en regard de l’extrême tenue de l’ensemble du récit. Nous sommes en effet loin de l’exotisme, cette pacotille dont regorgent les livres des « écrivains-voyageurs ». Le vertige nous gagne. On a tout simplement envie de suivre la marche de ce soldat de Dieu, carte en mains. Car seul le regard du voyageur compte. Celui de Paul de Sinety, tout en justesse et politesse de l’âme, nous ravit. Il fallait aller vers ce feu pour s’y consumer avant de regagner une vie, qui sait, sans extase. L’Orient est peut-être cette chimère absolue, l’étoile d’un songe, une tentation paradoxale. A coup sûr, on y voit autrement. Ecrire le récit de cette expérience n’étant que la prolongation de ce geste.