Souvenez-vous : c’était le 22 novembre 1963, jour de l’assassinat du président Kennedy. Jamais, sans doute, la mort violente d’un homme public (politique vraiment ?) n’avait suscité une telle « émotion ». Rumeurs, faux bruits, accusations, morts suspectes à la suite de la sienne (et avant ?) : tout était réuni pour que la fiction s’empare de l’événement, et prolonge l’onde de choc. La littérature dépassant de loin toute spéculation sur cette affaire, qui fit perdre son hymen à une génération (et encore) d’Américains, aussi paranoïaque soit-elle. Elle connut des réussites diverses (mentionnons pour plus de concision deux livres majeurs sur la question : Libra de Don DeLillo et Oswald de Norman Mailer). Et pourtant, sauf à accréditer ces thèses, le mystère reste entier. Sauf à considérer que l’intuition du romancier peut nous emmener plus loin sur le chemin de la vérité que bien des enquêtes menées, officielles ou non.
C’est une part de cette vérité insoupçonnable à l’époque -l’Amérique n’a jamais été innocente- que découvre tardivement Walter Marshall, jeune homme « justement » innocent, aux idéaux clairement revendiqués et rêvant d’une Amérique héroïque, pure. C’est ce silence qui pèse sur Salut à l’Amérique… (foutue nostalgie ?), rendant à chaque parole une résonance si particulière, chaque détail angoissant. Un roman flanqué d’un antihéros, tentant de se reconnaître à travers un univers qu’il pressent plein de trahisons. Celles-ci arrivant par les femmes (Natalie, finalement assez heureuse d’avoir été un objet du président) et les hommes qui composent cette histoire, oscillant entre cynisme et désillusion. Et ce ne sont même pas les vagues passions qui animent Walter qui l’aident à agir (demander en mariage deux femmes différentes, ambitionner la présidence des Etats-Unis d’Amérique), rêve de gosse qui aboutira à un engagement dans l’armée pour combattre au Vietnam : no comment… ce n’est que l’histoire différée du danger immédiat mal assumé, où plus personne n’a le courage de mourir, ou plutôt de s’affirmer par sa propre mort. Le besoin d’être parmi les autres (jamais avec), l’envie d’être courageux, voire de devenir un homme, ne l’empêcheront donc pas de se prendre le mur du réel en pleine face. Parce que les « conditions » historiques le permettaient.
Voilà donc un roman qui n’est pas tout à fait comme les autres. L’œuvre d’un écrivain qui se soucie peu du « rêve américain » -mort bien avant Dallas. Et où le bon Dieu ne montre pas très bien ses cartes. La liberté, l’autonomie, la destinée… ce sont, tout compte fait, des gros mots du vieux continent. Dieu ne peut pas sauver un pays comme les Etats-Unis. Sa rédemption (c’est étrange, mais un mot tel que « spectacle » ne jure pas sous la plume de Richard Bausch, alors que dans la bouche d’un auteur français, il paraît toujours suspect…) peut provenir d’auteurs qui ne prêchent pas. C’est en tant que témoin d’une époque qu’il a connue que cet écrivain « figurant dans les anthologies de littérature contemporaine américaine » (dixit la 4e de couverture ; mais est-ce meilleur signe là-bas qu’ici ?) continue à explorer la (mauvaise) conscience de son pays. Les lecteurs friands de conversations inattendues seront déçus. La tristesse, cette fleur que la France entretient avec une certaine coquetterie, pousse sur un arbre solide. En attendant, Richard Bausch écrit, lui, tout simplement sur des données de son temps. Et qui est aussi le nôtre.