Une nouvelle fois, Dominique Fabre nous bluffe. Attention, on n’a pas dit qu’il la jouait au bluff, il est trop malin pour ça. Mais comme aurait dit Thierry Roland, « on l’attend dans le zig et il part dans le zag ». Saugrenue, cette citation ? Pas sûr. Dominique Fabre est tout sauf un intello -tout prof qu’il soit-, et la réalité lui colle trop à la peau. Et à celle du antihéros de Celui qui n’est pas là, garçonnet, puis enfant, jeune homme, et enfin homme, quand même. Car c’est l’histoire d’une vie, c’est d’un individu qui prend forme dont il est question, et qui navigue entre les allers et venues d’un père absent, trop absent. Sur ce terrain glissant, il est difficile de prendre ses repères, et c’est justement ce qui intéresse Dominique Fabre : comment se développe un être humain, tant physiquement que psychologiquement, alors qu’une partie de ses repères -la moitié arithmétiquement, beaucoup plus en fait- n’existent pas, ou sont totalement faussés.
Sur cette base, Fabre choisit la forme fragmentaire, finalement assez appropriée, pour nous compter cette -triste- fable humaine. Une fable qui ne s’appuierait que sur les faits, ou presque, même si l’imaginaire, forcément, est omniprésent. Comment bâtir du réel sur du virtuel ? dirait-on dans une conversation branchée. C’est exactement ce que fait Dominique Fabre, et ce qui donne à ce roman, appelons-le comme ça, cette tonalité si spéciale, « différente » en quelque sorte.
Sans nul doute, le style de Dominique Fabre s’est affirmé, s’est affiné, sans pour autant, bien sûr, virer au péremptoire. Ce n’est pas son style, et les amateurs de tonitruant seront priés de passer leur chemin. Cependant, contrairement à ce que j’écrivais concernant son premier roman, Moi aussi un jour j’irai loin, puis à nouveau, de façon plus nuancée, à propos de Ma vie d’Edgar, son deuxième, il n’est plus question de « voix blanche », comme désincarnée, utilisant une personne, une enveloppe corporelle à des fins purement narratives.
De là à dire que la prose de Dominique Fabre devient osée, il y a un monde. Disons qu’il semble être au milieu du gué, du moins son écriture, un peu à l’image du jeune garçon qui est sur la couverture du livre, le regard dans le vague, mais en même temps fixé sur un point hors champ avec une formidable acuité. Entre affirmation du Moi écrivain et pudeur un rien timide, Dominique Fabre n’a pas encore terminé sa mue. A moins que Celui qui n’est pas là soit un livre sur la pudeur, auquel cas c’est diabolique.