J’ai quarante-trois ans. Je suis las de moi-même, on le serait à moins. C’est la faute au genre féminin. Elles y sont toutes pour quelque chose, ma mère la première et ma femme qui la suit d’assez près ; elles voient en ma petite taille un signe de génie. Hélas, je ne les aime pas tant, en alternance avec ma solitude, que la dose de malheur qu’elles permettent. Je me dilue lentement dans l’alcool, je me tue avec. Contre un arbre, ce serait mieux… Patience… Un artiste, un usurpateur comme ce siècle maudit en a tant produit ? Non, plus modestement Jackson Pollock, homme de l’Ouest ayant émigré (Iowa, puis Los Angeles), avant de regagner une terre promise à toutes les ambitions artistiques : New York. J’ai pourtant gardé pas mal d’inhibitions, de doutes, cherchant à reformuler tout ce qui pouvait être considéré comme acquis. Et cela passait par la remise en cause constante de mes tableaux. Car mon souci n’a pas été de préserver, de m’en tenir à une seule méthode, mais de réexaminer tout ce qui n’allait pas en chacun d’eux. Jusque dans les doutes que j’ai pu émettre sur le dripping. De la même façon, je me suis méfié du succès, de l’étiquette « premier peintre américain ». Foutaise… Si vous voulez savoir quelque chose sur moi, tenez-vous en à ce seul mot : Violence. Car je suis du type actif, émotif, le plus doué de ma génération dans ces catégories. De même, il n’est pas dit que je n’ai pas cherché systématiquement le ridicule (mon inconduite éthylique -un état quasi permanent- le prouve assez ; mais il est vrai que j’étais bien le seul…), les tics, mais aussi ce qu’il y a de poétique et de noble dans une œuvre. Mon œuvre. Même si d’autres ont pensé le contraire. Aussi, me suis-je empressé d’avoir des ennemis partout. J’ai pourtant suscité quelques vocations, notamment chez les critiques d’art. Ces impuissants ont toujours l’angoisse de résister à la tentation d’écrire sur eux-mêmes…
Ne vous perdez pas en route cependant. Je n’ai qu’une seule chose à dire : « La peinture est découverte de soi. Tout bon peintre peint ce qu’il est ». C’est de ce côté-là qu’il faudrait chercher (je pense à mes biographes). Tout le reste relèverait du non-sens.
Cette biographie ne pouvait donc être qu’un gros livre, dont les sept cents pages constituent une élégante brochure (il y a incontestablement un travail d’éditeur là-dessous). Elles se lisent en une nuit car elles sont pleines de passion, d’anecdotes, et résument parfaitement, malgré la psychanalyse encombrante, après des années de recherches (la collecte de témoignages, les recoupements opérés, etc.), ce que fut la vie de Jackson Pollock : on peut tenter d’assimiler et de retenir tout ce qui se présente sous nos yeux, mais le mieux est encore de tout oublier, après l’avoir ingurgitée. Et de revenir aux tableaux. Le mot de la fin : Fuck ! Lisez-la, ça vaut le coup… et faites le tri vous-même.