Dans une fabuleuse impasse du vieux Caire populaire, un mystérieux personnage du nom de Cheikh Ateya s’amuse à dépouiller les hommes de ce qu’ils ont de plus précieux : leur virilité. L’affaire provoque le sourire au départ mais finit par atteindre tous les habitants mâles de Zaafarani, ainsi que tous ceux qui s’y aventurent. Tous deviennent impuissants par son seul pouvoir. Un pouvoir qui annonce « le temps de la fuite » comme on annoncerait le jour du jugement dernier à un bon croyant musulman. « Quoi qu’il en soit, nous dit l’un des narrateurs (car le roman est polyphonique), les riverains le sentaient constamment proche d’eux, ils avaient l’impression qu’il les surveillait, qu’il savait tout de leurs agissements ». Un phénomène terrible… qui donne l’occasion à Gamal Ghitany de brosser une série de portraits hauts en couleurs (Hassan le fasciné d’Hitler, Takarli le proxénète, Oweiss l’ambigu…) et de faire le procès d’une culture de proximité qui étouffe l’individu dans son intimité la plus profonde. Rumeurs, regards, querelles de voisinages, fantasmes et frustrations des uns et des autres… Une ambiance lourdement explosive dans laquelle s’insinue sournoisement l’absurde et l’humour du quotidien.
Egyptien, proche de Mahfouz, l’auteur fait appel ici à une écriture éclatée où s’entremêlent les genres : « narration clinique des événements, portraits, ragots rapportés, communiqué de presse, comptes-rendus militaires… ». Le tout est un régal… Dommage qu’il ait fallu attendre près de 20 ans pour le voir traduit en français. Bien que Ghitany lui-même préfère qu’on le découvre dans sa langue maternelle.