Une vingtaine de textes courts compose La Mort de Pouchkine. Entre tableaux et contes, ils évoquent quelques personnes -Georges de La Tour, Verlaine et Rimbaud, Stig Dagerman- et personnages qu’au-delà du réel et de l’imaginaire un élément relie, omniprésent : la neige. Elément paradoxal qui envoûte les sens et néanmoins effraye les peintres et les poètes : leurs palettes sont impuissantes à rendre sa blancheur, leurs mots à chanter son silence.
En la prenant ainsi pour liant de son ouvrage, Christian Birgin nous fait craindre un instant -celui qui sépare la lecture de la quatrième de couverture de celle du texte- de retrouver une certaine littérature de descriptions de petits riens et de petites jouissances, de petites choses et de petites peines, sur fond diaphane et transparent. Un instant seulement : l’univers qu’il offre au lecteur est, au contraire, dense d’une réalité décrite par une écriture aussi paradoxale que la neige, une écriture dont la tension et le lyrisme mènent à la sérénité et au dénuement, une écriture qui joue de la douceur des mots comme La Tour de la lumière des cierges, pour mieux révéler ce qui sommeille dans les profondeurs des êtres et dans les contre-jours des paysages.
A travers les figures qui renaissent sous nos yeux, apparaît également une époque -ce livre prouve qu’elle n’est pas révolue- où la vision de l’artiste, qu’il soit peintre ou poète, ne se perd ni dans l’actualité éphémère ni dans les méandres du Moi ; où elle atteint, sans parasites, à l’essence des choses ; où elle réalise l’ambition de Pavese : « plonger dans l’infini chaos mythique de l’amorphe et de l’inachevé, et le pétrir, le travailler, l’éclairer jusqu’à ce qu’on le possède dans sa véritable objectivité ».
Dans l’un des textes de cet ouvrage, un homme écrit et écrit sans cesse, redoutant « de trouver sous la glace d’un mot comme la froideur et le sel d’une peur lointaine, ou encore un craquement de la parole, une fêlure, un cri figé, enfin, aussi lourd, aussi mort qu’un bois livré à la crue d’une rivière, et qui infligerait, pour tout dire, à la nuit commençante, ou jamais commencée -à sa nuit, sa propre nuit où son silence se consumait dans le silence, quelque chose de la brûlure d’une flamme… » La crainte de cet homme devient plaisir du lecteur, celui, très rare, de sentir aussi à travers les cris, les craquements et les brûlures qui transparaissent dans ces pages, la voix d’un auteur qui a su affronter l’opacité du langage pour le rendre lumineux et s’effacer devant les êtres pour leur insuffler vie.