Qui dit Lili Brik, dit Vladimir Maïakovski. Mais on est en droit de se demander en lisant cette biographie de Arcadi Vaksberg, certes très bien documentée et assez exhaustive sur cette femme, si Lili aurait eu cette postérité, aurait suscité le même intérêt, si elle n’avait pas été la muse du poète. L’histoire et l’analyse qui en est faite par Arcadi Vaksberg fournissent des réponses au « phénomène » Lili Brik. Cette femme est en quelque sorte une clef qui permet de pénétrer dans l’univers d’un certain nombre de personnages marquants de son temps. On pense bien sûr à Maïakovski (voir la photo de Lili et de Vladimir ci-dessus), mais tout autant à Ossip Brik, son mari, à Elsa Triolet, sa sœur, ou encore à Primakov qu’elle rencontre quelques années après le suicide du poète. Lili est une séductrice, une compagne pour les hommes, une rivale pour les femmes. Elle connaît ses atouts, elle ne doute pas du charme qu’elle peut exercer sur la gent masculine et n’hésite pas à s’en servir pour collectionner les amants sans jamais se sentir dépendante d’eux. Seul Maïakovski réussit à ébranler sa parfaite confiance en elle-même.
Vaksberg ne cache pas sa fascination pour le personnage, mais laisse échapper à quelques reprises des jugements plus sévères sur son manque de profondeur. Lili Brik vit à côté de son temps, et en cela elle excelle. Certains paragraphes rappellent que l’auteur ne voit en elle qu’une séductrice : « Menus détails de la quotidienneté, avec une préférence marquée pour la mode, les achats vestimentaires, les parfums et les produits de beauté, les soucis financiers, on y chercherait en vain les signes concrets de l’époque ». Il revient sur l’obsession de Lili à propos d’une voiture qu’elle voulait que Maïakovski lui achète à Paris, sans doute pour parader dans les rues de Moscou, comme les cocottes richement enrubannées qui se faisaient promener en équipage, du côté de Poissy ou de Bougival, au siècle dernier. Sans Lili, Maïakovski n’aurait sans doute pas écrit cette grande œuvre et l’intérêt du travail de Vaksberg est d’avouer à demi-mot que le destin de Lili est finalement assez tragique. En juin 1968, Elsa, sa sœur, prononce cette phrase terrible et en même temps significative : « Lili n’est qu’un prétexte »… Elle veut parler de la campagne « anti-Maïakovskienne » qui se polarise sur Lili à défaut de pouvoir s’attaquer directement au poète. Un prétexte… cela en dit long sur le rôle que semble avoir joué cette illustre muse. Certes, elle est à l’origine du Front des Arts de Gauche, la LEF, certes, elle a été la farouche gardienne de la mémoire de son cher Volodia, mais Vaksberg avoue qu’elle se prenait souvent « pour la première dame ». Simple vanité ? La deuxième partie de sa vie est déjà plus complexe et plus pathétique. Lili, qui s’était délibérément désintéressée et détournée de la vie politique et sociale de son pays, est dépassée par les événements, rattrapée même par ceux qui en veulent à son entourage, à ce qu’il symbolise avec ses imbrications inévitables mais réelles, entre le pouvoir et les intellectuels. Telle une feuille qui virevolte dans les airs, Lili se soumet aux caprices des vents et se laisse balayer plus loin qu’elle ne l’aurait peut-être imaginé.