L’homme est par nature malheureux et vain : mais il l’est pour des causes essentielles. Aussi, les époques particulièrement inhumaines facilitent l’éclosion des talents. Balisés par la monotonie, les jours se succèdent ; qu’elle est la raison de notre présence, pourquoi nous ? Contingence de notre existence. Eternelle question, éternelle réponse. Et la vie est honteuse, soit. Michel Houellebecq, qui garde la nostalgie de l’enfance, écrit pour nous le rappeler. Ces choses-là doivent être entendues se dit-il. Alors s’opère dans le flou des gestes quotidiens un retour sur soi : la confrontation au néant (pas besoin d’aller chercher très loin : il est là, à nos portes), la conscience du dépérissement. Et l’ennui, qui prend toujours un peu plus de place ; cette douleur négative qu’éprouve celui qu’aucune douleur positive ne pousse à agir, le poète s’en fait l’écho. Tout cela manque un peu d’artifice pour abuser ses propres tendances. Enfin, l’œuvre est là. L’harmonie que Michel Houellebecq ne trouve pas dans la vie, il la met dans ses vers.
Parfois l’humour reprend ses droits (plusieurs vers sur l’onanisme disent l’essentiel). Mais abandonnons tout de suite l’idée d’avoir affaire à un caractère jouissif. Car on assiste à un précipité de désastre dans ce recueil. (« Les nuits passent sur moi comme un grand laminoir / Et je connais l’usure des matins sans espoir / Le corps qui se fatigue, les amis qui s’écartent, / Et la vie qui reprend une à une ses cartes.). Aussi faut-il prendre ces poèmes pour ce qu’ils sont : une approche intuitive et mystérieuse du monde, à la fois le prolongement mais aussi le mouvement initiateur d’autres textes, c’est-à-dire, au fond, des instantanés. Cette forme d’expression est aussi naturelle à l’auteur que d’écrire un roman, spéculer sur la nature humaine ou cracher un pépin. La méthode n’est pas sans risques. Son discours est honnête, la musicalité de ses vers souvent prenante ; reste à dépasser la gravité moqueuse. Parfois, sa poésie réveille des choses cachées, parfois elle reste à l’état de perception. Voilà ce qui fait le charme paradoxal de ce pessimiste actif appelant la Renaissance de ses vœux (« Reconstruire une société / Qui mérite le nom d’humaine / Qui conduise à l’éternité, / Comme l’anneau va vers la chaîne. »), et qui est aussi le chemin de l’expérience intérieure.