Que fait une jeune fille qui a des lettres et du vague à l’âme ? Elle tient un journal. Que se passe-t-il lorsque cette jeune fille grandit, a toujours du vague à l’âme et jure de devenir écrivain ? Réponse : son journal grandit et évoque sa rage de devenir écrivain. Le journal de Sylvia Plath se développe de 1950 -elle a dix-huit ans- à 1963, date fatidique où elle décide de passer l’arme à gauche, fatiguée de vivre. Entre-temps, elle est devenue une poétesse reconnue, une jeune femme brillante à l’inquiétude plus profonde que jamais.
Si les Journaux de Plath constituent un document autobiographique, ce n’est pas au sens où on l’entend d’ordinaire : le chercheur d’anecdotes fera mieux de passer son chemin. Il perdrait son temps, d’autant plus que les passages les plus personnels, ou peut-être les plus croustillants, ont été « omis » par un mari prudent. Pas de textes débridés donc, sinon dans l’évocation incessante de ses angoisses d’écrivain poursuivant l’éternelle chimère de la création. C’est là ce qui fait l’intérêt d’une telle publication : emmener le lecteur dans une quête impossible, lui offrir une promenade mouvementée dans une âme qui souffre mais qui combat. Depuis toute petite, Plath sent en elle une vocation d’écrivain qui la poursuit jusqu’à faire d’elle une icône littéraire du campus : à vingt ans, elle obtient le premier prix d’un concours de nouvelles organisé par un grand magazine new-yorkais, Mademoiselle. Le magazine l’invite alors à NY pendant l’été en tant que rédactrice. Tout se gâte alors : le démon de l’insatisfaction est dans la place et ne la quittera plus jamais. « Tu es une petite hypocrite contradictoire et apeurée : tu voulais du temps pour réfléchir, découvrir qui tu étais, tes capacités d’écriture, et à présent que tu as du temps, tu es paralysée, plongée dans la nausée, dans la stase. » (Juin 1953, p. 107.)
L’exigence et la haine de soi constituent un cocktail dangereux : Plath continue cependant à le boire méthodiquement, passe de l’enthousiasme à la plus noire dépression en dessinant une courbe sinusoïdale à l’impeccable régularité. Elle tente de se suicider quelques temps après sa première expérience new-yorkaise, puis se relance, à grands coups de discipline personnelle : Mets-toi à écrire, même si c’est maladroit et disparate. Commence par choisir ton marché : Ladies’ home journal ou Discovery ? Seventeen ou Mlle ? Ensuite choisis un sujet. Et puis réfléchis. L’apprenti écrivain constatera, grâce à Plath, que toutes les époques se ressemblent : les mêmes courses poursuites à travers les réseaux de la presse, les mêmes sempiternelles histoires de stratégies. Dur dur, d’être un jeune auteur.
Heureusement, il y a Ted. Ted Hughes, figure charismatique, poète et divin mari : immense, créateur gigantesque, « que j’aurais l’impression de l’avoir inventé s’il ne venait toujours me surprendre, et me faire savoir qu’il est réel et profond, comme un iceberg dans son élément » (p. 312). Ted l’apaise, l’illumine. Le problème, c’est que Plath s’est donné un but trop haut, que son tempérament fait d’elle une girouette plombée. Où sont passés ce bel enthousiasme désinvolte et sa liberté arrogante ? « A la seule pensée d’écrire une nouvelle, je sens se déposer sur moi une bruine froide, de désespoir. » (P. 432.) Les dés sont jetés. Plath se suicide à l’âge de trente et un an, victorieuse et victime de l’écriture. « Je suis un écrivain de génie, je le sens en moi. J’écris les meilleurs poèmes de ma vie. Ils me rendront célèbre », écrit-elle trois mois avant de se donner la mort. Une voix énergique mais dangereuse pour les illusions. Le journal de « Lady Lazare » se lit à petites doses et vous aidera à jeter définitivement aux orties votre vocation d’écrivain.