Adrien, jeune officier, est défiguré par un éclat d’obus sur les bords de la Meuse et passe la guerre 14-18 dans une chambre de l’Hôpital du Val-de-Grâce. Tel Sisyphe condamné à rouler éternellement sur la pente d’une montagne, remontant sans cesse avant d’avoir atteint le sommet, il subit patiemment de multiples interventions chirurgicales susceptibles de lui redonner un semblant de visage. Devenu doyen de l’étage des blessés de la face, parce qu’il avait en quelque sorte « baptisé » le lieu en arrivant le premier, il trouve parmi ses camarades d’infortune une raison de vivre et une dignité.
On découvre alors un esprit de corps, sans doute le même que sur le champ de bataille, car il est alors question d’affronter le regard des autres, de repousser l’ennemi, même quand celui-ci est un parent, un meilleur ami, ou une femme qui vous a donné les derniers instants d’un bonheur dans votre vie de jeune homme, beau, insouciant et promis à un avenir héroïque.
Marc Dugain caresse ses personnages, comme on caresse l’être aimé avec un plaisir de tous les instants, avec une générosité pudique. Entre « le sang et le charbon », les blessés de la face n’ont d’autre choix que de souffrir en silence, car pendant des mois, et certains pour toujours, ils doivent se résigner à transcrire sur une ardoise les quelques messages qu’ils veulent faire passer au reste du monde. Des amitiés se nouent, au fil du temps, entre ces hommes qui par instinct devraient se détester tant ils se renvoient des reflets sans visage. Marc Dugain ne fait pas l’économie de l’horreur, de la solitude, du désespoir, qui sont palpables au fil des pages. Ses personnages témoignent de la violence des combats et de leur fonction de chair à canon dans une guerre dont ils ne connaissent pas, pour bon nombre d’entre eux, les vrais enjeux. Il dépeint également l’énergie magnifique avec laquelle Adrien, Weil, Penanster et Marguerite affrontent l’adversité, et parfois même lui jouent des tours. Ils acceptent les terribles règles du jeu avec lesquelles ils doivent désormais compter, se serrant les coudes, conscients que les blessures ne seront jamais refermées, et se lancent à corps perdu dans la vie de l’après « der des der », laissant sans voix les « épargnés » du conflit. Il nous raconte comment ces anciens combattants vivront le retour à la vie civile et les honneurs militaires de Clémenceau, comment la défaite de 1940 et l’occupation des allemands leur paraîtront particulièrement humiliantes. Il rend hommage à des êtres dont la souffrance n’a d’égale que leur appétit de vivre.
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