Nouveau document-témoignage consacré à l’Internationale lettriste, La Tribu se présente sous la forme d’un long entretien avec l’un de ses membres, Jean-Michel Mension. Des documents passionnants (photographies, textes en marge, etc.) accompagnent la parole d’un homme de convictions, et que l’on pourrait placer sous l’égide de la phrase de son ami (bien qu’il fut exclu par ce dernier en 1954) Guy Debord : « Entre la rue du Four et la rue de Buci, où notre jeunesse s’est si complètement perdue, en buvant quelques verres, on pouvait sentir avec certitude que nous ne ferions jamais rien de mieux » (Panégyrique). De ces nuits à forte teneur en alcool, corollaire à de multiples errances à travers la ville (des dérives chères à Debord, qui était « méthodique » jusque dans l’art de pratiquer la boisson), il convient de souligner la beauté, l’attache à un monde qui était en train de disparaître.
Avec pour centre de gravité l’estaminet de chez Moineau, l’art et la vie se confondaient pour ces jeunes gens prêts à défaire le monde qui les entourait (culte de la marchandise, état culturel, bref, tout se qui sépare de la vie). L’énigmatique Chtcheglov, fils de russes blancs, ou le génial Gil Wolman côtoyaient cette tribu où les femmes n’étaient pas absentes (les belles emmerdeuses Michèle Bernstein et Eliane). Des visages comme on en voit plus (ou trop rarement), comme celui de Jean-Claude Guilbert, artiste « sans œuvre » (il tourna avec Bresson dans Mouchette) qui décida, en retrait du monde, de faire de sa vie une œuvre d’art. Et dont on apprend qu’il apporta, ainsi que Chtcheglov, beaucoup à Debord pour la théorisation de ses écrits ultérieurs.
Ainsi, La Tribu, ouvrage relatant la genèse d’un mouvement -l’internationale situationniste- qui allait donner ses lettres de noblesse, par la radicalité de son discours, à la révolte qui allait suivre, prend place, dans toute bibliothèque digne de ce nom, entre Les Lèvres nues et les Documents relatifs à la fondation de l’Internationale situationniste (chez le même éditeur). Puisqu’il raconte l’envers d’une histoire qui a comptée (et compte toujours) dans la pensée -en rupture- du 20e siècle.
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