Après la grande réussite des Frères Adamov, l’aristocrate Loustal retrouve Jérôme Charyn, romancier new-yorkais amoureux des bas-fonds du Bronx et de Little Odessa. Dans leur nouvel opus, Sonya la Blanche sort de prison après l’assassinat de ses macs, et retrouve l’univers de la rue et de la délinquance. Poursuivie par Pinto, roi de la pègre, qui ne lui pardonne pas son insoumission passée, Sonya se réfugie pour un temps dans les bras de Mario, le romantique neveu de Pinto. Mais l’oncle ne pardonne pas sa trahison au petit Mario et entraîne Sonya dans un destin en forme de cercle infernal.
L’essentiel chez Loustal n’est pas tant dans le diégétique en soi que dans son rigoureux agencement. Sa formation d’architecte appliquée à l’échelle de sa création témoigne d’une maîtrise très personnelle de l’espace et du temps. Adepte habituel du texte off, placé sous le dessin, Loustal apprivoise ici le classique phylactère (ou bulle) tout en dilatant à sa guise le récit. Ellipses et contractions temporelles constituent ainsi la grande force de White Sonya, de même que ces silences pesants qui sont la marque de Loustal et dont l’efficacité est autrement plus convaincante que celle des dialogues, incontestablement le point faible de l’œuvre. Par ailleurs, l’alchimie entre les fulgurances fauvistes de Loustal (Tante Matilda, la mac de Sonya, semble échappée d’un tableau tahitien de Gauguin), sources d’illumination, et l’atmosphère poisseuse et délétère chère à Charyn provoque un étrange contraste, à l’image de l’impassible sérénité de Sonya lorsqu’elle est confrontée à la violence et à la prostitution. Fatalement, cette absence au monde séculier appelle un retour à un monde régulier. La confrérie des sœurs blacks du Ranch, cette prison pour femmes aux contours feutrés, accueille ainsi la sœur blanche qui s’était égarée pour un temps et dont l’étrange sourire témoigne du retour à soi. La beauté des traits opère ainsi aux dépens du scénario. Charyn n’a manifestement pas eu ici la même liberté qu’avec Boucq (La Femme du magicien et Bouche du diable) et on pourra préférer à cette œuvre quelque peu convenue Barney et la note bleue, un authentique chef-d’œuvre celui-là.