Il ne faut pas moins de trois lectures pour apprécier pleinement Le Réducteur de vitesse, premier album de Christophe Blain en tant « qu’auteur complet ».
Première lecture
Le lecteur laissera de côté les 8 premières pages du « dossier de l’album », qui risqueraient de déflorer certains aspects du Réducteur… Dès les premières planches, une constatation s’impose : il y a du vécu dans cette histoire. Cela se ressent tout d’abord à la manière dont les personnages sont campés, leurs expressions, leurs attitudes, leur vocabulaire. Puis quelques situations typiquement « militaire » renforcent cette première impression. Christophe Blain a dû faire son service nationale en tant que marin, il a réellement dû monté sur un « bateau de guerre ». Page après page, une autre sensation envahit le lecteur. Le mystère enserre le récit, l’atmosphère devient plus étrange (on pense au Désert des Tartares de Dino Buzzati). Un suspens s’établit et les planches s’imprègnent même d’une sorte de fantastique… L’origine de cette évolution étant ce fameux « réducteur de vitesse ». Remarquons la grande maîtrise narrative de Christophe Blain, qui se sert d’une descente physique des héros dans les profondeurs du bateau pour faire monter une pression psychologique chez le lecteur… Du coup, seul petit reproche à ce magnifique ouvrage, la fin est peut-être un petit peu trop abrupte, trop réaliste par rapport aux pages qui la précèdent.
Deuxième lecture
Précédée de la découverte du dossier de l’album, l’approche du Réducteur sera fort différente. Le dossier confirme tout ce qui a été ressenti à la première lecture : le vécu comme la dimension fantastique. Il donne aussi la signification du titre et présente le contexte autobiographique dont s’est inspiré l’auteur. Enfin, il explique la démarche de Christophe Blain, ses partis pris graphiques. Relevons une petite erreur à la quatrième page du dossier : il ne faut pas lire « Falgoz le toubib », mais « Legueul le toubib » -cette inversion dénaturant les propos de l’auteur. Regrettons d’ailleurs la politique éditoriale (je devrais écrire « commerciale ») d’Aire Libre : le dossier est annoncé comme « réservé à la première édition ». Ces passionnants éclaircissements manqueront beaucoup à tous ceux qui découvriront le Réducteur dans sa deuxième édition…
Troisième lecture
Les deux premières lectures incitent à se procurer le Carnet d’un matelot, livre d’illustrations et de textes mentionné dans le dossier… Dans ce livre pour enfant (un peu court et pas tout à fait assez structuré), Christophe Blain raconte avec entrain son service militaire dans la Marine, à travers les nombreux dessins qu’il a pu réalisés. La possession de Carnet d’un matelot entraînera alors une passionnante relecture en parallèle des deux ouvrages, afin de comparer le réel et l’imaginaire, les sources d’inspirations et l’utilisation qu’en fait Christophe Blain dans son récit (avec une mention particulière pour les portraits du médecin…).
Pour sa première bande dessinée, Christophe Blain signe un album d’une très grande richesse, et qui laisse présager une œuvre d’envergure. A déguster au sec, à l’abri du roulis et du tangage…