La réédition de Honkytonk Man (1983) est l’occasion de revoir le neuvième long métrage de Clint Eastwood, pour ceux ayant été frustrés par leur tubes cathodiques, et tout simplement l’opportunité de découvrir un chef-d’œuvre dans des conditions tout à fait plaisantes pour les autres. Il est vrai qu’on peut éprouver un fort grand plaisir face à un bon film en regardant sa télévision, mais celui-ci fait partie d’une catégorie perdant considérablement de sa valeur en étant confronté aux regrettables limites de la vidéo. Les éléments s’imbriquant à l’histoire racontée dans Honkytonk Man sont bien trop ardents pour se retrouver enfermés dans la boite noire… De fait, un tel film représentant des paysages interminables emmenés par une musique aussi vibrante que significative ne peut être retranscrit à sa juste valeur qu’au cinéma.
Inspiré du roman de Clancy Carlile (également auteur du scénario), Honkytonk Man dresse le portrait d’un joueur de country-music (Red Stovall) voyageant de ville en ville dans l’Amérique du vieux Sud afin de se produire dans les bars. Alcoolique fini et gravement atteint par la tuberculose, ce personnage incarné par Eastwood doit se rendre à Nashville afin de participer à une audition qui pourrait lui permettre de révéler son talent indéniable au grand public. Seulement voilà, le voyage est long et tout laisse à croire que Strovall ne pourra pas connaître la célébrité.
Le caractère de ce personnage n’est pas sans rappeler un Hank Williams, tombé dans la déchéance et incapable d’aligner trois accords pour toucher le public de son talent inouï… Les similitudes avec l’icône country sont d’autant plus flagrantes lorsqu’on s’aperçoit que Strovall est un musicien se produisant face à tout public, contrairement à ceux, majoritaires à l’époque, qui se refusaient à jouer pour un public noir.
Au-delà d’une leçon d’humanisme (bien tournée, soit dit en passant), Honkytonk Man dresse le portrait de la figure emblématique de l’artiste créant d’une main tout en se détruisant de l’autre. Sans pour autant encenser ce genre de comportement, Eastwood le laisse apparaître comme quelque chose à prendre tel quel, une fatalité à accepter si l’on ne veut être privé de l’œuvre d’un homme -aussi courte soit-elle.
La réalisation laisse d’ailleurs entrevoir le parti pris du réalisateur, filmant de manière très détachée la déchéance du personnage, sans pour autant la mettre en valeur afin de faire apparaître une larme au coin de l’œil du spectateur… Il est très difficile de ne pas succomber à la tentation d’utiliser des artifices afin de guider les émotions du public à l’aide de sentiments préfabriqués. Eastwood ne s’adonne pas à l’art malsain de la manipulation. Honkytonk Man affecte uniquement parce que chaque personne peut ressentir ce film à sa manière, avec ses propres émotions et non celles apportées par un cinéaste crapuleux le menant par le bout du nez.