« Quand j’étais petit, j’aimais bien regarder souffrir les animaux… ». Non, Lie-de-vin n’était pas un sale gosse qui se réjouissait à l’idée d’écraser un millier de fourmis en deux temps trois mouvements, ou d’écarteler une grenouille sans défense, mais un petit garçon qui cherchait par tous les moyens à dissimuler une tache de naissance grosse comme un continent inconnu. L’un de ses plus doux souvenirs d’enfance, c’est la naissance d’un veau et le bain de sang dans lequel il s’est retrouvé. C’est la première et sans doute l’une des dernières fois que durant quelques instants, sa tache a disparu. Mais elle est revenue… et Lie-de-vin doit vivre avec. Il est le seul enfant du village et en plus il est l’orphelin de la commune. Plus encore que de voir sa tache disparaître, il rêve de retrouver sa mère. Il a déjà tout prévu : il lui suffit de battre un record, qu’on fasse un article sur lui, que sa mère tombe dessus, le reconnaisse et revienne le chercher. En attendant, il tient son journal intime sur des bandes son enregistrées et raconte les maigres événements du village. Ceux qui sont liés à sa personne bien sûr. Il a suffisamment de choses à régler avec lui-même pour ne pas se mêler des affaires des autres. Son chien Lulu a disparu et Lie-de-vin découvre très vite que quelqu’un l’a tué. C’est Maïs, la fille du ferrailleur, qui lui rapporte le cadavre. Maïs, elle sait beaucoup de choses, et peu importe qu’on la traite de voleuse et de menteuse. Il y a un deuxième mystère qui plane sur ce village de plus en plus déserté, il a pour nom « Marie ». Une femme qui s’est installée à la sortie de la commune et dont personne ne connaît le visage. Lie-de-vin se fait des films…
Il aura fallu presque quatre ans à Corbeyran et Berlion pour réaliser ce très bel album, tout en subtilité. Le jeu des contrastes fonctionne à merveille, autant dans le scénario que dans les dessins qui l’accompagnent. Les personnages ont une violence sourde qui leur donnent une épaisseur que l’on trouve rarement en bande dessinée. Lie-de-vin est tout à la fois émouvant, rustre, poétique et sauvage. Sa beauté réside dans sa quête de reconnaissance et d’amour, dans sa patience et sa capacité à accepter la fatalité sans jamais abandonner ses rêves. Le duo Corbeyran et Berlion s’associe une fois de plus ; cette nouvelle collaboration garde toute sa fraîcheur et leur complicité se ressent tout au long de l’album.