Le dernier film de Takeshi Kitano, Hana-Bi, est une œuvre rare de maîtrise et de talent. Le réalisateur japonais porte ici à son comble le mélange de genres inauguré dans ses précédents films, notamment dans Sonatine. Il réemploie avec habileté les archétypes du film de yakusas, afin d’y superposer la dérive de son personnage, Nishi, ancien policier brisé par la vie et accomplissant son chemin vers la mort. Le résultat du minutieux travail de Kitano est tout simplement saisissant de poésie.
Le développement formel d’Hana-Bi est remarquable. Il affiche une profonde originalité, tout en reprenant à son compte de nombreux traits de la tradition cinématographique japonaise. L’économie de parole est ici un principe fondateur. Nishi, brillamment interprété par Kitano lui-même, cristallise à lui seul toute la tension dramatique. Il est pourtant presque toujours muet et semble dépourvu de sentiments apparents. Comme dans le théâtre d’ombres, Nishi porte le lourd masque de la mort. Contrairement à ce que le manque d’expressivité peut laisser penser, Hana-Bi est un film profondément émouvant. Kitano insuffle l’émotion grâce à des procédés bien plus efficaces que le simple épanchement psychologique. Plus que ses acteurs, il fait avant tout parler ses images. Il impose ainsi un authentique point de vue de cinéaste. Son exploration et son invention se concentrent principalement sur la recherche plastique et musicale.
En matière visuelle, Kitano ose beaucoup : montage parallèle poussé à l’extrême, flash-backs apparemment anachroniques portant la trace d’un passé cruel. Ce dernier hante Nishi à chaque instant. L’ancien policier se croit coupable de ne pas avoir protégé ses collègues contre la folie meurtrière d’un malfrat. D’une bestialité extrême et fulgurante, la violence resurgit entre deux moments de calme et de paix apparents. Le film oscille constamment entre les deux faces du policier. Nishi semble avoir trouvé la voie de la réconciliation avec lui-même ; pourtant, ses vieux démons agissent en souterrain, la pulsion de mort reprenant toujours, finalement, le dessus.
Takeshi Kitano peint avec pudeur des personnages marqués par la mort et devant l’apprivoiser. Sa manière picturale d’aborder l’image cinématographique et son sens de la métaphore visuelle font de son film un modèle d’intensité et de retenue. Il refuse, y compris dans son traitement de la violence, toute forme de voyeurisme. Pour lui, la question n’est pas de provoquer la pitié envers ses personnages. Il met en scène sans complaisance le désenchantement du monde. Hana-Bi n’entend pas sauver les hommes de la mort, mais tout simplement savoir, comme dans un roman de Mishima, comment ils peuvent accepter de regarder la mer, puis de mourir.