Les années 90 : une journaliste irlandaise risque-tout est assassinée pour avoir fourré son nez chez les hauts pontes de la drogue. Son enterrement fut un deuil national en Irlande et provoqua de nombreuses arrestations et émeutes populaires… Personnage haut en couleurs, situations dramatiques en chaînes, le tout saupoudré d’un nuage de mélo, les ingrédients dramatiques de Veronica Guerin avaient tout pour exciter la libido financièro-carriériste de Jerry Bruckheimer. Après son leadership absolu dans le secteur du film d’action, le grossier nabab étend depuis quelques années son pouvoir sur des productions plus ambitieuses (action + mélo + Histoire = Pearl Harbor). Le parcours de son employé Joël Schumacher au sein de son entreprise symbolise parfaitement sa nouvelle stratégie marketing. Après avoir exécuté un buddy movie pour vidéoclubs (Bad company), Schumacher monte d’un rang dans l’organigramme en décrochant un biopic. Et qui dit nouveau poste dit nouvelles responsabilités. L’employé Bruckheimerien est donc prié de caster des acteurs à Oscars, de reconstituer ses décors de la manière la plus folklorique possible (jusque dans la direction musicale) et surtout de réécrire l’Histoire de façon simple, voire lourdement fallacieuse. L’objectif étant bien sûr de flatter le radical poujadiste qui sommeille en chaque spectateur. Cadeau de la maison : le droit d’accorder le scénario à ses propres obsessions, à la seule condition qu’elles servent le message idéologique du producteur. La fascination de Schumacher pour l’autodéfense et la pureté des théories réactionnaires sera donc utilisées pour caler le destin de cette femme dans le stéréotype hollywoodien le plus éclatant et lisser les moindres infractuosités de son combat et de sa personnalité.
Mais fidèle à sa politique du calibrage markété, Bruckheimer ne souhaite qu’un film gentiment réactionnaire. Schumacher n’est donc pas utilisé comme un auteur à part entière, juste comme un artisan-vassal que l’on bride constamment mais sûrement. Voir la scène où Veronica Guerin évoque sa peur des gangsters après une série de menaces de mort, scène maladroite, éminemment explicite où Schumacher concède une humanité standard, attendue, à son héroïne. Pourtant, elle était sûrement là, la Véronica Guerin que fantasmait l’employé Schumacher, en y allant davantage dans le pompiérisme lacrymal et le malaise idéologique grossier. Et générer ainsi une décharge émotive hystérique, une tristesse, une dépression maladive que le cinéaste atteint parcimonieusement dans ses meilleurs films. Mais son chef de service a veillé au grain. Pas de débordements pompiers incandescents, pas de polémique. Justes quelques flambées populistes et moralisatrices pour garder en ligne de mire l’objectif principal : gagner du pognon. Et des Oscars.