Depuis mettons quinze ans et une multitude de festivals qui l’ont célébré, le cinéma d’Iran a acquis une sorte de notoriété singulière. On ne cesse de s’étonner, eu égard aux mabouls qui le dirige, que ce pays soit doté d’une telle vitalité, produise autant de films, entretienne une aussi forte tradition. Kiarostami, bien sûr, fut la locomotive de ce mouvement, entraînant dans son sillage une espèce d’euphorie festivalière, qui couronna des films iraniens par paquets. Mais il n’était pas le premier, tant la tradition du cinéma en Iran est profonde, ancienne, et recèle de méconnus trésors. Il n’empêche, si l’on considère avec calme ce que l’on a pu en voir depuis ces quinze ans, en classant à part les films de Kiarostami, le bilan du cinéma iranien n’est pas si étincelant : mis à part une poignée de films, si l’on est tous d’accord pour dire que les Makhmalbaf père et fille nous rebutent, il n’y a pas autant d’auteurs de poids que ce que l’on a bien voulu croire. Un seul, en fait : Jafar Panahi. C’est dire la déception que constitue ce Hors jeu petits bras.
Panahi, cinéaste hors jeu, qui a souvent franchi la ligne, notamment avec Le Cercle, une ronde sur la condition féminine, ou Sang et or, qui posait avec une grande acuité la vieille question des rapports entre névrose et coercition civique. Films puissants, sans compromis, qui faisaient de son auteur un danger pour les ayatollahs de tous poils, on s’en doute. Qu’est-il arrivé à Panahi ? Hors jeu a tous les atours du film rebelle et engagé venu d’un pays obscurantiste. On y suit les aventures d’une jeune fille fan de foot mais interdite de stade, comme le sont toutes les femmes en Iran. Déguisée en garçon, elle tente de passer les barrages pour assister (pour de vrai) au match Iran-Bahreïn qui, la victoire aidant, allait propulser les Iraniens vers la coupe du monde 2006 en Allemagne. Le film va plaire (plait déjà, un prix à Berlin) aux révoltés occidentaux toujours en demande de ce genre de plaidoyer pour la justice et contre l’injustice. Il ne va pas non plus faire hurler les barbus. Puisque l’Iran a gagné le match (1 à 0), le film s’achève sur une manifestation spontanée à la gloire de l’Iran, avec moult drapeaux et chants patriotiques. Une effusion que Panahi filme complaisamment, comme pour montrer qu’on a beau être opprimé, on est prêt à défendre la patrie.
On a quand même l’impression que Panahi n’a qu’une volonté en faisant ce film : ne fâcher personne. D’une main le film dénonce pour ne pas perdre la face auprès des étrangers, mais de l’autre il donne des gages en termes d’amour du drapeau. On ne peut s’empêcher, en voyant Hors jeu, que d’autres raisons extra-cinéma ont interféré avec sa production. On y pense, mais cela n’ôte rien à la déception : même en terre hostile, on sait bien que Panahi est capable de faire largement mieux.