Après avoir enthousiasmé le public hexagonal des festivals de l’été, le trio le plus passionnant du moment lance une nouvelle bombe sur le champ de bataille parfois ronronnant du jazz contemporain et affine le style unique qu’il a forgé dans ses précédents albums (notamment dans l’impressionnant Strange place for snow il y a deux ans) : sous les trois lettres du sigle E.S.T. (pour Esbjörn Svensson Trio) se cache peut-être le groupe qui, dans une époque où tout le monde ou presque cherche à s’ouvrir des routes nouvelles en frottant le jazz à l’électronique, a trouvé la manière la plus convaincante d’apporter une respiration nouvelle à sa musique en créant un troisième genre hybride qui retiendrait à la fois la liberté et le vocabulaire du jazz et la puissance sonore du rock. Résultat : une musique à la croisée des chemins, résolument contemporaine mais exempte de tout inachèvement expérimental, qui pousse un peu plus loin encore le processus engagé sur les précédents albums.
Si les compositions et le jeu des musiciens rapproche le trio de la tradition du jazz scandinave et tend à l’inscrire dans une lignée musicale dont les grands parrains s’appelleraient Keith Jarrett, Chick Corea ou Bobo Stenson, ils dynamitent complètement les cadres habituels du format piano / basse / batterie en y insufflant un vent tout droit venu du rock et des musiques électroniques, autre champ dans le défrichage duquel la scène nordique est au demeurant aujourd’hui en pointe. En utilisant avec sobriété les ressources des effets électroniques et du traitement du son (le piano de Svensson est discrètement passé à toutes les sauces), en n’hésitant pas à jouer de la puissance d’instruments saturés et de l’électricité, en accordant un soin méticuleux au mixage et à l’atmosphère générale, Svensson et ses acolytes (Dan Berglund, contrebasse et Magnus Öström, batterie) atteignent l’équilibre parfait entre liberté du jazz et puissance de l’electro. Résultat : un maelström envoûtant où les dix compositions originales, obsédantes et polies comme des chansons pop, s’ouvrent à l’improvisation et mêlent le vocabulaire du jazz à une construction rock, l’univers ternaire d’un Jarrett aux boucles sèches d’un Wesseltoft. Les temps changent : le jazz les suit et, souvent, les devance. Un peu partout, on cherche le son de demain en jetant des ponts entre les musiques nouvelles. Le trio d’Esbjörn Svensson, lui, trouve.