Dark est fondu amoureux de Mel, qui hésite à s’engager. Lucifer, sa meilleure amie l’en dissuade. Heureusement, Dark rencontre Montgomery, un nouveau pote compréhensif. Elvis et sa moto sont d’un viril irrésistible. Alyssa y succombe net. Ducky et son skate-board n’ont aucune chance. Dingbat et son appareil dentaire seraient plus à sa portée. De toute façon, il ferait mieux de s’occuper d’Egg, son adorable soeurette, qui fleurette avec l’une des stars d’Alerte à Malibu. Kriss et Kozy partagent tout et sont les deux meilleures copines du monde… Ils sont tous étudiants, mais leurs études on s’en fout…
Vous l’aurez pigé, Nowhere est gaulé comme un sit-com, une soap-opérette à l’ado-américaine. Il louche tout spécialement sur les Melrose Place et Beverly Hills. Il lorgne vers cette Californie cathodique qui imprime toutes les routines de l’Occidolescent. Mais tombe le rideau et dévoile l’envers du décorum. Ainsi Dark et Montgomery sont attirés l’un vers l’autre. Mel se tape Lucifer, comme tout ce qui lui passe par le corps. Elvis ne prend son pied que ligoté, dominé. Kriss et Krozy sont deux maîtresses Majuscules (S-M, si vous préférez). Le sauveteur de Malibu va sauver Egg de l’innocence virginale… Et si on ne voit jamais personne en cours, c’est que personne n’y fout jamais les panards.
Cinglante satire dans tous les sens, Nowhere est un no man’s land moral, cinglé et survirvoltant. Araki confère à son film un psychédélisme ravageur. Les cadrage, photo, montage, déco pour l’ecsta des yeux. Pour le son : Massive Attack, The Cheminal Brothers, Blur, Nine Inch Nails, Portishead, Radiohead, Marilyn Manson… Un climat d’overdose, de transe sexuelle, de suprême déglingue.
Pourtant l’euphorie hallucinogène a un prix : la gueule de bois. Car chaque biture dissimule sa douleur et ses ténèbres. Nowhere est un rêve réveillé, un cauchemar hilare. Cauchemar beatnik (au sens unique de dégénération ou génération déglinguée) de l’ère post-industrielle et pré-millénarienne, la vision d’Araki est inversement sombrissime à la chaleur de sa peinture. Le personnage crucial, Dark, est un albatros spatio-temporel. Un no where man qui ne sait plus où il en est, s’il l’a jamais su. Moitié ahuri, moitié désespéré par le chaos frénétique qui l’encercle et l’embringue.
Légèrement grave et gravement léger, Araki navigue assez brillamment entre irréel et vérité. Son film est tapageur, distordu, dissonnant, saugrenu, perturbé, incongru, fantasque mais juste. Sûrement cette justesse qu’il manquait à The Doom Generation (son métrage précédent). Le style outrancier et saturant du metteur y tournait à vide. Nowhere parvient à une sorte de dislocation poétique, d’innocence trash, de kitsch subversif ou de punk guimauve ; comme une merde au coeur d’une barbe-à-papa. Une beauté convulsive et paradoxale, dont on regrette seulement qu’elle ne s’engouffre pas plus loin encore dans la percée esthétique et critique.