Lorsqu’on adapte un manga sur celluloïd, ou, inversement, un anime en bande-dessinée, il faut toujours s’attendre à ce qu’il y ait un perdant. Généralement, c’est l’oeuvre originale qui en sort grandie, mais il y a des exceptions, lorsque l’adaptation dévergonde une création trop sage, lorsqu’elle s’émancipe, en changeant de support, des contraintes très codifiées du monde de l’édition de la BD japonaise ou des règles plus stricto-familiales de la diffusion télévisée. Dans tous les cas, et même s’il peut y avoir débat sur le vainqueur, il y a rarement match nul. Exception confirmant la règle : cette adaptation manga de la série d’OAVs Fuli culi (voir dans Le Mag Un O(A)VNI nommé Furi Kuri et notre chronique du DVD Zone 2 Fr), deux pièces maîtresses d’un projet plus global, l’une (l’OAV) semblant plus prépondérante que l’autre (le manga), deux visions presque opposées d’un même sujet. On a beau aimer la série pour son côté futile, déjanté, expérimental, et finalement assez creux, le manga de Hajime Ueda, moins burlesque, plus radical, plus noir et plus fort en thème nous a, lui aussi, impressionné. Peut-être parce qu’il est, paradoxalement, plus proche de l’esprit des studios Gainax que l’OAV, produit hybride, tour de force technique hésitant entre fan-service, private-joke, autoparodie et psychanalyse de comptoir.
FLCL-manga est nettement moins distancié, beaucoup plus « premier degré », soulignant lourdement les obsessions de Gainax à peine esquissées, ou tout simplement moquées, dans FLCL-OAV : les tourments de l’adolescence, les relations amour-haine avec l' »otakisme ». Il n’y a qu’à jeter un coup d’oeil sur la bosse phallique qui se dresse du front du héros, Naota, et qui semble fasciner la ko-gal (lycéenne délurée) neurasthénique Mamimi et l’extra-terrestre schizophrène Haruko. Ou encore le meurtre du père, désamorcé dans l’anime par l’humour et une improbable histoire de clone -dans l’OAV, Naota ne tue qu’une réplique de son paternel-, ici beaucoup plus directe et violente. FLCL-manga prend tout au pied de la lettre, au risque d’apparaître plus inquiétant et dérangeant, moins confortable que son faux-jumeau animé édulcoré par une approche délibérément burlesque. C’est une création difficile d’accès, brouillonne, sans concession : dessin taillé à la serpe, scénario déstructuré jusqu’à l’incompréhensible, mêlant réalité et onirisme, flash-backs et flash-forwards. Devant un objet aussi étrange, aussi décalé de son modèle d’origine, la critique ne peut donc pas se permettre de faire dans la demi-mesure : elle doit choisir son camp, entre escroquerie prétentieuse et chef-d’oeuvre cryptique. Quitte à se tromper, on préfère ranger FLCL dans la deuxième catégorie, celle qui convient le mieux à un produit aussi culotté.