Big Dada fait partie de cette catégorie de label vers lequel on se dirige, car il est bien souvent improbable de savoir totalement sur quel type de son on va tomber. Force est de constater que cette écurie anglaise porte sur ses épaules une bonne brochette d’artistes novateurs. Démarrée en trombe avec la légendaire compilation Black whole styles, Big Dada attire souvent dans son catalogue des artistes souvent en « décalage naturel » avec leur environnement sonore, et ce de façon intuitive.
Comme en atteste les sorties des opus de MF Doom (King Geedorah), Mike Ladd (et sa tribu Majesticons / Infesticons), TTC (et leur premier opus Ceci n’est pas un disque), Busdriver (sur Cosmic cleavage, en compagnie de RadioInactive) ou encore Bigg Jus. Et même si bien souvent ce sont des albums récupérées ou réédités (MF Doom et son Take me to your leader contenait pas mal de titres déjà connus), ce label british continue son petit bonhomme de chemin avec panache. Comme en atteste ce nouveau disque de Jus. Cet ex-membre de Company Flow (auteur de Funcrusher plus, pour ne citer que lui) nous avait déjà grandement accroché les tympans avec l’excellent projet NMS Woe to thee land whose king is a child. Il revient aujourd’hui avec une obèse livraison : Black Mamba serums V2.0. Contenant bon nombre de morceaux déjà édités mais pas vraiment bien distribués (Plantation rhymes Ep en édition limitée ou encore à l’étranger avec l’édition japonaise du Black Mamba serum…), ce disque sublime doit pourtant figurer dans toute collection musicale qui se respecte, même dans celle des accrocs du Net et des serveurs P2P. La version CD est une sorte de double album (on y retrouve du bonus en format MP3, ce qui donne un total de 46 morceaux) qui réunit quelques pièces de collection jusqu’ici réservées aux nerds collectionneurs ou encore des petits inédits et autres raretés distingués.
C’est ici tout l’univers de Bigg Jus qui est réunit en un condensé balayée de ferveurs rapologiques déclassées, tordues, mises en épigraphe pour ensuite être remplies de soul distendu et de funk ralenti. Les comptines sont ici débitées par des voix altérées et / ou douces, sur fond de boucles éclatées, utilisées aussi bien dans un contexte musical multiple que dans un kaléidoscope se nourrissant de musique électronique. Les breaks tortueux deviennent ici souvent atmosphériques (No dessert til you finish your vegetables), se font enculer par du plomb (I triceratops), des basses saturées (Hector 205 dedication), des guitares jouées au Fender disto / wah-wah qu’on a cassé en miettes. Le son de Bigg Jus ne s’enlaidit pas avec les années, il se bonifie (comme en atteste le joyau Tongue sandwich tastes good). Agrémenté d’effets en tout genre, de notes de pianos esseulées ou de déluges virtuoses (d’intensité et de climat, aussi), le son fracassé de ce démon touche en plein coeur. Car ce maniaque du détail est un grand sorcier des rythmes boursouflés, des beats extatiques et autres loops schizophrènes (la bombe Tenets of the elements). Il distille habilement et généreusement son flow atypique sur des strates de synthés analogiques fines (Kingspitter…) et des mélodies recherchées (Moss pink coats), et ce sans jamais essayer de traquer la chanson parfaite. C’est ce qui fait le pouvoir de son oeuvre. Car même si l’on se laisse emporter par telle mélodie, tel sample, tel mot ou tel son, il y a toujours des temps mort qui viennent perturber des breaks, des interruptions fortuites, des tonalités qui dérangent, qui agitent le cerveau. A l’écoute de l’album (en boucle), on se rend compte que Bigg Jus est un des rares producteur / rappeur du moment à savoir proposer une parfaite mise en espace de son art. Un homme brillant et dérangé. Il en existe peu.