Mark Bell, membre fondateur de LFO, est l’une des personnalités les plus influentes de la musique électronique de ces quinze dernières années. Non content d’avoir sorti avec son comparse Gez Varley en 1991 un des albums fondateurs de la house-music, Frequencies, il est devenu un producteur recherché, insufflant à la grande production mainstream son esprit psychédélique et synthétique, dans les meilleurs albums de Björk ou Depeche Mode. Les premiers titres de LFO, entendus pour la première fois au Warehouse de Leeds par les jeunes créateurs du label Warp (qui signèrent immédiatement le duo et fondèrent Warp sur cette pierre angulaire), en 1990, devaient ainsi autant aux mélodies synthétiques du quatuor allemand Kraftwerk, inventeurs 70’s du mariage musical de l’homme et de la machine, qu’à la nouvelle vague acid qui parcourait l’Angleterre depuis trois ans. Avec Frequencies, qui irradie comme une bombe l’Europe et les Etats-Unis, LFO invente la sub-basse (cette basse si profonde qu’elle touche d’abord aux jambes et au coeur avant d’être perçue par les oreilles), développe l’idée de sons signalétiques (bleeps) et bouleverse les pionniers de Détroit (Derrick May, Kevin Saunderson, Juan Atkins). LFO invente un son proprement anglais, européen, mêlant acid-house, techno, new-beat, avec un sens aigu des mélodies et des progressions. Après une série de tournées hallucinées (qui les verra passer par la Grande Arche de La Défense, pour un concert dont mes pupilles gardent l’impression et mes jambes le tremblement), le duo sortira en 96 un deuxième opus, Advance, moins réussi, Mark Bell s’orientant vers la production tandis que Gez Varley quitte le bateau pour d’autres aventures. Bell s’épanouit avec Björk pour Homogenic, et surtout Depeche Mode, sur Exciter. Il avoue être impressionné par les anglais electro-pop, qu’il écoutait à l’âge de 12 ans…
Alors que sort aujourd’hui son nouvel album, Sheath, instrumental et techno, mais où les mélodies et le travail sur les textures rythmiques font merveille, Mark Bell est plus que jamais aujourd’hui un des maîtres du son. Si ce nouvel album, compilation de morceaux inédits réalisés ces dernières années, n’apporte rien de plus à sa discographie (acid-house, techno-bleeps comme en 1991), ni à la musique électronique dans son ensemble, il n’en a pas moins les caractères de nécessité et d’actualité. Nécessaire, car il remet certaines pendules à l’heure, réintroduisant du spirituel dans la danse, de la musicalité dans l’électronique, de l’âme dans la coquille. C’est le versant psychédélique de cette musique, qui est plus actuel que jamais. Ne voyez-vous pas le revival psychédélique poindre le bout de son nez (mené notamment par Warp, avec Broadcast et Luke Vibert, dont le nouveau single s’intitule I love acid) ? Sheath est un disque de synthèse, comme l’acide est une drogue de synthèse. A la fois artificiel et profondément inscrit dans nos gènes, fondamentalement ancien et pourtant avant-gardiste. Parce que la mélodie est toujours avant-gardiste, parce que la sub-basse fait désormais partie élémentaire des fondations de notre perception du rapport signal-bruit, parce que le single Freak, avec son clip à la Battle royale, va être le grand flip de l’automne et va transformer vos camarades de clubbing en vampires pointus et vous en androïde paranoïaque. Parce que les beats sont joués comme des notes sur une grande partition rythmique et mélodique, qui relève de la musique tribale la plus antédiluviennement moderne. Tambour de guerre ou battement chamane à visée magique, Sheath est un signe des temps. Ecoutez-le.