Christine Blanc, c’est un peu le Meursault de Camus au féminin ou une « idiote » à la Dostoïevski : inadaptée au monde – du moins à celui dans lequel nous vivons, consumériste et zappeur -, elle mène une vie aussi atone que l’indique son nom de famille. Certes, elle fonctionne : elle travaille, elle va à l’auto-école, rend visite à ses parents le week-end, etc. Mais en tant que secrétaire et surtout intérimaire, elle est aussi aliénée par son travail que peuvent l’être les personnages de Laurent Cantet (le jeune stagiaire de Ressources humaines, et, en négatif, le chômeur mythomane de L’Emploi du temps) : elle ignore ce que ses patrons successifs pensent de son travail, son visage ne dit rien à personne à la cantine… Loin de se croire au-dessus de la pauvre vie routinière de ses congénères, elle ne se rebelle pas ; on la voit même répéter ce qu’elle entend au supermarché, bluffée par la capacité des autres à converser de choses et d’autres avec naturel. La force de Elle est des nôtres consiste à traiter de cette étrangeté au monde avec des moyens proprement cinématographiques : jeu sur le flou, travellings glaçants sur une avenue commerciale dans une banlieue provinciale, et surtout travail précieux sur la bande-son, qui alterne grésillement de microsillon, silence aussi feutré qu’étouffant et sons isolés les uns des autres dans une scène de centre commercial. Ce que Siegrid Alnoy capte avec beaucoup d’acuité, c’est le rapport à l’espace d’un corps et d’une conscience qui n’y adhèrent qu’en pointillés.
La rencontre d’une femme qui lui montre de la gentillesse marque pour Christine un tournant. Elle décide de voir en Patricia (la géniale Catherine Mouchet) l’Amie, au point d’acheter des dizaines de chouettes pour se trouver un point commun avec cette collectionneuse d’oiseaux en céramique. Se peut-il que seul le meurtre de ce double pourtant réconfortant soit ce qui permette à la société, aux « autres », de faire une place à Christine ? Comme métamorphosée par le crime qu’elle commet (et dont personne ne l’accuse, tant celui-ci paraît gratuit), la voilà promue à son travail, en position de pouvoir même, comme libérée, plus attirante que jamais. Film mat et inconfortable, Elle est des nôtres résiste au sociable, au cocon du collectif (que ce soit le couple, la famille ou l’entreprise) et gratte pour mettre à jour ce qui constitue cette glu sociale. A l’image de son actrice aux traits fascinants mais pas conventionnellement beaux, Siegrid Alnoy refuse les concessions du réalisme (la bande-son, souvent subjective, fonctionne comme une voix off), mais elle utilise ce qui, précisément, fait violence à sa protagoniste : le réel, aussi brutal qu’arrangeant.