On pourrait considérer Morelletcomme un artiste petit-bourgeois qui se moque des valeurs de l’art et de sa production, comme le faisait Duchamp. L’art de Morelletn’est-il que poudre aux yeux ? Y a-t-il autre chose derrière l’exercice et l’ironie ?
Quoi qu’il en soit, personne ne semble douter de la grandeur de son art. L’exposition du Jeu de Paume propose une rétrospective apologétique de son travail. Elle hisse l’artiste au rang de ce qu’il déteste le plus : le saint génie qui a tout inventé avant les autres. Tout lui revient : minimaliste avant les minimalistes, conceptuel avant l’art conceptuel, plaisantin avant les Oulipiens, « artificialiste » avant les anti-naturalistes ! Tout le monde sait l’expliquer, le citer et l’adorer. On serait alors bien rétrograde de demander jusqu’à quel point l’artiste tient la pose et quel degré de sérieux il place dans son travail.
Reste qu’une fois qu’on a cerné la démarche et le personnage, qu’on a compris qu’il jouait entre la rigueur géométrique et l’humour, on n’a pas beaucoup avancé. On parle beaucoup à son sujet de ce qui est refusé (la subjectivité, l’anecdote, l’improvisation) et de ce qui est réduit au minimum (son intervention, sa créativité et sa sensibilité). Bref, il s’élève contre le mythe romantique du créateur tout-puissant qui confondrait l’art avec l’expression. Comme il a un goût pour la contrainte minimale, un attachement aux systèmes, et qu’il porte à la dérision le sérieux du systématisme, on le rattache aisément aux pratiques de Dada, de Fluxus ou à celles de Raymond Roussel.
Soit. Mais son travail ne se réduit pas à une simple convention. Devant le tableau grillagé de la première salle, on voit cette forme maintenue comme dans un étau. Devant les lignes d’horizon incertaines et les néons qui se détachent du mur, on sent que l’artiste cherche à atteindre l’espace abstrait d’entre les œuvres. Comme les jeux de figures répondent aux jeux de mots, on sous-rit devant les postures pornographiques du carré et du rectangle : en levrette, par derrière à deux, à croupeton ! Ou du prolongement poétique d’une branche d’arbre par une figure géométrique (Géométree).
L’émotion naît de ces systèmes simples et compliqués qui hésitent toujours entre l’ordre et le désordre, de leurs hésitations plutôt que de leurs résolutions. Deux pièces par exemple : Arc de cercle brisé (1954), composé par quatre petites toiles carrées blanches accrochées en hauteur, sur lesquelles est tracé un arc de cercle bleu qui évoque l’horizon objectif et l’horizon incarné dans sa couleur naturelle, comme un « bleu du ciel » géométrisé. Steel Life n°35 (1990) est une forme carrée blanche qui cherche à s’extraire du cadre d’acier qui l’enserre, dans un léger basculement qui procure un véritable effet de tension entre les éléments. L’origine du travail est artificielle et hasardeuse et la simplicité de la présentation parvient à toucher très directement. Cet écart entre le minimum de décision de l’artiste et l’intensité de l’expérience poétique à laquelle se livre le spectateur fait la force de l’œuvre de Morellet.