Les images d’Alex Claude nous résistent. Elles nous résistent parce qu’elles sont une ambivalence du visible et non son constat, et, se donnant comme telle, elles induisent le déséquilibre de la perception spectaculaire autant que sa précarité signifiante.
D’autant plus parce qu’elles passent par le report sérigraphie avant de se montrer. Elles subissent alors une sorte d’allotropie qui prévaut dans son dispositif de préhension. Ces images sont celles de femmes. Nous les découvrons en position couchée, ne livrant que l’entremise de leur jambes sur un tissu polaire, nues dans une profusion végétale et accusant une double présence dans la profondeur de boîte empilées formant un « totem », métamorphosées ou baignant dans un monochrome jaune.
Ainsi, ces images jouent du modèle féminin comme une façon de nommer la séduction du visible et sa perversité au regard des fascinations idéologiques qu’elles sous-tendent ; le modèle pouvant être cet ancestral avatar iconique du désir -de l’autre ou de soi- qui est condition de son mystère.
Le corps est alors conçu comme une sorte d’écran sensible accusant le temps, la lumière et son environnement psychologique pour se métamorphoser, changer d’aspect afin de circonscrire le bouillonnement interne de l’être et la discordance entre son état visible et invisible.
Sans doute, l’image trouve-t-elle ici l’adéquation substantielle la plus apte à rendre compte de cet écart lorsqu’elle est une propriété ductile de la vision, se manifestant dans les conditions de son apparition à travers le support et la matière.
Ainsi, les formes glissent vers une proposition de l’image en de multiples facettes que la sérigraphie façonne à l’aide de l’image photographique conçue matière première qui, à travers la trame, se métamorphose au gré des passages en tout autre chose que ce qui était visible en première instance, mais préservant sa nature, son essence.
C’est ainsi qu’elle force sa présence ; dans cette confrontation entre essence et identité, dans une résistance de la forme à l’oeil.
Le sujet s’enfouit sous la densité du noir et blanc sérigraphié, tout en émettant une fragilité dans l’évaporation de ses formes, accusant ainsi la surface sensible de la photographie avant report.
Entre solide et liquide, liquide et vapeur, paradoxalement, c’est la matière solidifiée qui induit cette flatulence, comme le tissu polaire où l’encre se dissout dans ces méandres cotonneux.
Le modèle résiste ainsi à notre acuité, à ce désir de l’interroger, de le saisir, alors qu’il nous invitait pourtant à le rejoindre par sa généreuse sensualité et profondeur qu’il prétendait. Il se retranche dans son encadrement ou sa structure. Face au totem, notre désir de surprendre l’image, de la traverser pourrait, un temps, se satisfaire parce qu’une autre image est visible de l’autre côté. Cependant, l’image reste maîtresse du jeu ; en se métamorphosant, elle fascine autant qu’elle irrite, piégeant le spectateur, incarnant les délires mensongers du visible.
Nous retrouvons ce jeu de résistance dans les séries et les portfolios présentés à la galerie Jean Louis Magnan.
La série révèle une mise en scène dont les éléments éthérés résistent à toute narration pour ne livrer qu’une monochromie extatique du corps par la lumière.
Les portfolios offrent un jeu de va-et-vient entre texte et image où le lecteur pourrait croire saisir les formes qui se défilent alors que le texte les met en doute et joue à rebours en conduisant notre regard d’un sens aux images de façon hypothétique.
L’écriture n’offre ici qu’un gouffre et une pensée sur notre condition de rêveur, car elle est autant que l’image un interface de l’imaginaire.
Ainsi, dans une reprise des métamorphoses d’Ovide à travers l’histoire d’Acteon, Alex Claude nous invite à l’idée que cette poésie, ce langage soulèvent la fluidité des apparences. Comme pour Acteon, il nous défie de raconter ce que nous avons vu ; mais, comme il le suggère aussi, le voile absent qui a permis la découverte de la nudité -vérité ?- de Diane et a conduit le sort du héros, finalement, revient en charge de nous faire douter sur le visible dont l’illusion de nos sens ne fait qu’émettre les changements permanents et fantastiques, résistant ainsi à toute tentative de définition, laissant un silence, un mystère entre la forme et la substance.
Bientôt, nous aurons la possibilité de découvrir une nouvelle exposition des œuvres d’Alex Claude, conduite par Jean louis Magnant et Arnaud Juras, et qui donnera lieu à un catalogue où les artistes de la galerie travailleront autours des images d’Alex. Un projet artistique en forme de liaisons à travers des textes et des langages plastiques, et qui est déjà l’atout et la richesse de cet espace d’exposition, entre « art premier » et « art contemporain ».
Stéphane Léger
Diplômes 97
École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris
13, quai Malaquais, Paris 6e
jusqu’au 19 avril 1998, tous les jours sauf le lundi, de 13h à 19 h
Alex Claude
Galerie Jean Louis Magnant
18, rue guénégaud, Paris 6e
renseignements : 01 44 07 27 01
jusqu’au 18 avril 1998 et du 23 avril au 23 mai 1998