Spider-Man, quel numéro déjà ? C’est qu’il y a de quoi se perdre dans les multiples versions cinématographiques du super-héros mises en chantier ces dernières années. Jamais une franchise n’aura aussi bien illustré les aléas de l’industrie hollywoodienne contemporaine, obsédée par une rentabilité à même de soutenir l’essor économique des sociétés d’imagerie numérique. D’abord à l’orée des années 2000, quand Columbia allait chercher Sam Raimi, cinéaste forain et authentique amoureux d’un fantastique primitif, pour le propulser sur la scène du blockbuster estival. Idée suffisamment finaude pour aboutir à trois films inégaux mais appuyés sur une même et belle idée, celle d’un double vertige de son personnage. Vertige du corps adolescent mutant en pure puissance de projection et de désir, et vertige d’un petit prolétaire voyant émerveillé sa silhouette se refléter sur les façades vitrées de la skyline de Manhattan. De quoi, pour Raimi, ramener la grosse artillerie des effets spéciaux numériques sur le terrain intime d’une chambre d’adolescent maladroit et pauvre, mais à la poitrine gonflée par l’immense souffle de la jeunesse. Puis reboot de la série, avec un tâcheron aux commandes et une endive mollassonne devant la caméra. Résultat : Sony abandonne à moitié le personnage que le Marvel Studio s’empresse d’intégrer dans l’univers réticulaire de super-héros en collants de synthèse. Un univers, rappelons-le, mis en place par Kevin Feige, le boss du studio, pour dominer l’entertainment hollywoodien pendant les vingt prochaines années, selon le principe qu’on ne peut voir un film de la série sans connaître les autres.
Du coup, ce spider-man-ci, interprété par Tom Holland avec l’énergie d’un gamin sous speed, abandonne sa généalogie de créature chétive : nulle araignée ayant bu la potion atomique ou découverte de supers-pouvoirs ici, le Peter Parker 2017 s’affiche déjà en petit vigilante facétieux et aérien dans les rues du Queens natal. C’est que l’adolescent avait déjà fait son apparition dans le précédent long-métrage Marvel, Captain America : Civil War, offrant même une salutaire respiration humoristique à la débilité pompière dans laquelle s’enfonçait le reste du film. Et c’est bien ce versant de juvénilité hystérique que semble occuper le personnage dans le monde parfaitement couillon des héros Marvel : une forme plus modeste et joueuse à même de réanimer l’enthousiasme des ados pour la plâtrée de plus en plus épaisse des super-héros.
De ce point de vue-là, nul doute que le Studio a son savoir faire : comme il était allé chercher Adam McKay et Edgard Wright pour doper à la comédie pop son Ant-Man, Kevin Feige a réuni autour de la table d’écriture les scénaristes Jonathan Goldstein et John Francis Daley (ce dernier, par ailleurs, acteur nerd dans la série Freaks and Geeks) pour inoculer au projet un parfum de couloirs de lycée et de maladresse teenage. Au bout de ces deux heures quinze de film, donc, les habituelles scènes d’actions filmées ici un peu trop souvent comme une longue bouillie visuelle n’écrasent pas complétement l’humour et le registre coming of age du film. Spider-Man : Homecoming reste le récit d’un apprentissage adolescent, non plus sur le fil trop sombre de la tragédie qu’il y a à devenir adulte, mais en suivant la dimension prolo du personnage, comme l’indique le double sens du titre : Homecoming, c’est à la fois la fête de fin de lycée et le retour au foyer d’un super-héros de l’ordinaire, qui n’aurait donc que peu à voir avec la pompe kitsch des Avengers.
Cette mystification du Studio Marvel qui voudrait placer dans un panthéon de héros « springsteeniens » le dernier surgeon de leur entreprise de colonisation culturelle, pourrait fonctionner à plein s’il y avait encore un peu de sincérité dans l’entreprise. Cette sincérité qui faisait justement d’Ant-Man le seul film valable surgi de leur chaîne de production, ayant compris que toute la démarche esthétique du studio tenait à des effets de taille aussi ridicules que touchants : grossir le monde des jouets à l’échelle des adultes, jusqu’à atteindre une dimension maladive, à la fois enfantine et horrifique. Rien de tout cela dans Spider-Man : Homecoming qui déroule un programme plus qu’il ne cherche à le libérer. C’est qu’il y a un vice de fabrication, inhérent au projet Marvel. Vice repérable dans le personnage censé chapeauter l’apprentissage du jeune Parker pour le compte de l’entreprise Stark, ici interprété par Jon Favreau, réalisateur du premier Iron Man qui ouvrait l’univers des super-héros. Manière de signifier que ce spider-man-ci, aussi modeste et indépendant soit-il, devra rendre des comptes à la maison-mère. Et la maison-mère, chez Marvel, dans une homologie structurale entre son univers fictionnel et sa démarche de production, reste une vaste entreprise détenue par un milliardaire dont le seul pouvoir est de savoir fabriquer des costumes high-tech. Autrement dit, toute la dimension fantastique de cet imaginaire finit nécessairement par buter sur les murs du capitalisme. Le goût des voltiges et du fluide arachnéen s’effacent devant la prééminence d’un costume dont on ne nous épargnera pas même le prix, forcément exorbitant. Et le super-vilain de circonstance, interprété par Michael Keaton comme un modeste entrepreneur humilié par l’oligarchie washingtonienne, d’avoir les goûts d’un milliardaire : chez Marvel, le combat se situe entre les 1% les plus riches du monde, pour la plus grande joie des 30% les plus pauvres.
Moins que le petit film joyeux et humble qu’il prétend être, Spider-Man : Homecoming ne fait donc que prolonger l’immense hubris qui mobilise sa production et donne sens à l’industrie américaine des effets spéciaux. Cette hubris qui a fait dériver les images de destruction numérique d’une conjuration des images traumatiques du 11 septembre 2001 vers une démonstration ivre des puissances du capitalisme. Enfoncée dans un tel programme de rage et de pouvoir, la voix du jeune Peter Parker ne pouvait donc pas porter bien loin, si jamais elle nous restait audible.
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