Violence
Dans la file d’attente pour le Todd Haynes, une brune visiblement éprouvée: « C’est super violent, tu te prends toute la violence de Poutine en pleine gueule ! » C’est un peu excessif, mais il faut reconnaître qu’entre les militaires postés à chaque carrefour et l’enfilade de détecteurs de métaux plantés comme un parcours d’obstacles sur le moindre trajet des accrédités, l’ambiance de cette soixante-dixième édition sous haute surveillance n’est pas hyper riviera.
Désolation
À moins, bien sûr, que cette perspicace festivalière n’ait simplement deviné la parabole habilement cachée dans Loveless, le film de Zvyagintsev dévoilé hier à la presse. En guise d’indice, tout au bout du film: le regard caméra moyennement énigmatique de son héroïne, œil torve et survêt’ aux couleurs de la Russie, dans un appartement de luxe chaleureux comme un hall d’hôpital et où résonne un bulletin de news sur la crise ukrainienne. Poutine en pleine gueule ? Dans le mille. On se doutait bien qu’en attaquant la compétition avec le nouvel opus de l’auteur du Bannissement et d’Elena, joyeux drille notoire, on allait au devant des ennuis – encore que son précédent, Leviathan, s’était révélé étonnamment digeste. D’emblée, on est en terrain connu: Loveless s’ouvre sur un diaporama funeste d’arbres ployant sous la neige et le désespoir, et promis à revenir à l’identique au dernier plan du film pour refermer son tableau de désolation étale. À deux pas des arbres, un immeuble moderne et glauque, et dans l’immeuble un couple qui finit de se haïr en attendant le divorce. Un enfant est là, que personne ne regarde quand il pleure à gros hoquets derrière la porte de sa chambre: il a compris qu’aucun des deux parents ne réclamerait sa garde. Ce plan-là, celui de l’enfant martyr qui pleure dans une indifférence totale, est déchirant. La violente empathie qu’il suscite chez le spectateur restera sans suite: à force de n’être pas regardé (la mère partage son temps entre son smartphone et son nouvel amant, le père attend avec une autre un deuxième enfant qu’à l’évidence il ne regardera pas plus), l’enfant disparaît littéralement du film, évaporé, en fugue ou peut-être mort, et le film nous abandonne pour près de deux heures avec les parents lancés bon gré mal gré à sa recherche, cohabitant jusqu’à éreintement total dans leur jus de ressentiment sous-bergmanien. À eux, le film n’a à offrir que le regard d’entomologiste glacé de Zviaguintsev, qui les laisse s’enfoncer doucement dans la tourbe de son programme hautain, invariable, et particulièrement peu inspiré ici. Résultat, abominable: on finit nous-même par ne plus trop se soucier du sort de l’enfant, hormis par intermittence pour l’envier d’avoir su, plus tôt que nous, trouver la porte de sortie du film.
Ennui
Filmer ses personnages comme des porte-manteaux n’est que rarement un atout pour un cinéaste. Ça peut l’être néanmoins, comme ça l’a été avec Carol, précédent et très beau film de Todd Haynes où son goût des images sous cloche épousait fort judicieusement les contours d’un scénario sur-mesure. Filmer comme des poupées de porcelaine des héroïnes qui, justement, s’aiment comme telles: la cohérence était redoutable. Sur le papier, Wonderstruck annonce d’emblée que Haynes persévère dans l’ambition d’imprimer à ses récits matière à justifier ses penchants de bibelotier. Le film parle de cabinets de curiosité (le titre lui-même y renvoie), filme longuement les dioramas d’un muséum d’histoire naturelle, et se conclut dans les méandres minuscules d’une maquette de New York. Prétexte à cette collection, une histoire d’enfants, tirée d’un roman de Brian Selznick dont Scorsese a déjà adapté Hugo Cabret. Deux enfants éloignés dans le temps, mais réunis par le montage (via un jeu de rimes visuelles séduisant au premier abord), puis par un coup de force du scénario. Rose est sourde, vit à la fin des années 20, et fuit la maison de son père peu aimant pour rejoindre à New York sa mère, et finalement son frère, qui travaille au museum. Ben, lui, vit dans les années 70, devient sourd par accident et fugue lui aussi à New York, cherchant dans le même musée à résoudre le mystère de ses origines. Alternant tout le long entre les deux époques (les années 20, muettes et en noir et blanc / les seventies filmées comme des stock shots d’un épisode de Starsky & Hutch), Haynes fait l’effet de quelqu’un qui hésiterait, dans une cabine d’essayage, entre deux tenues vintage pour une fête costumée. Entièrement occupé par les joies de la reconstitution, le film est très vite écrasant d’ennui, et surtout il est – c’est tout son problème – incroyablement dépourvu d’innocence. Tout boursouflé qu’il était, le film de Scorsese au moins semblait porter un intérêt sincère à la capacité d’émerveillement d’un enfant. Haynes, lui, semble littéralement incapable de filmer un enfant autrement que comme passe-plat pour ses propres marottes – il faut voir comment les deux mômes sont condamnés à forcer leurs gestes pour montrer à la caméra le moindre accessoire, vinyle de Bowie, jolie boîte en émail, à la façon d’une hôtesse sur le stand d’un salon d’antiquaires.
Indigestion
Mais:
Stupeur: le Claire Denis est très, très réussi. Encore plus étonnant: il est extrêmement drôle. Pire: le scénario de Christine Angot est vraiment pas mal.
Chronic’art recrute, saison 3
La République est en marche, et Chronic’art aussi : comme chaque année pendant le festival, le magazine recrute un nouveau rédacteur cinéma, mais sous une formule inédite. Adieu CDI, congés payés et voiture de fonction, bonjour à l’auto-entrepreneuriat. Le grand gagnant de notre concours pourra piger gratuitement comme critique cinéma, pendant une année au terme de laquelle il sera invité à exercer ses talents ailleurs, au sein d’un parcours professionnel souple et mobile. Pour bénéficier de ce contrat win-win, une seule méthode pour nos candidats, toujours la même : regarder les films avec le même œil que la rédaction. Pour aujourd’hui: un grand bravo à Mathieu Macheret de Trafic, nouveau venu dans la compét et déjà number one.
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« Le grand gagnant de notre concours pourra piger
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« Pour bénéficier de ce contrat win-win, une seule
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Je ne sais pas si j’ai bien compris ce dont il s’agit mais il m’est difficile de rester insensible à ce que je viens de lire, je me permets donc de réagir. Vous qui êtes si prompt a souligner le cynisme des auteurs et réalisateurs que vous critiquez, commencez par faire votre auto-critique. D’autre part, Il serait peut-être bienvenu de ne pas « regarder les films avec le même oeil que la rédaction ». Idée: choisissez quelqu’un qui est le sujet des ses idées!
Comme d’autres vous êtes en marche, mais pas forcément dans le bon sens…