Ce sont des photographies que l’auteur, photographe pour Magnum, qualifie de « médico-légistes ». Essentiellement des images de charniers, autour de Vukovar et de Srebrenica. Un charnier, c’est l’assurance du meurtre de masse, anonyme. Des corps broyés les uns dans les autres.
Vukovar est une petite ville de Croatie, symbole de la résistance croate à l’armée et aux milices serbes, à l’automne 1991. D’une certaine manière, par la longueur du siège de la ville et les atrocités commises, cette mise en bouche du conflit « yougoslave » annonce les quatre années d’horreur qui suivront. Déjà le silence assourdissant de l’Europe.
Srebrenica clôt cette histoire de reculades et de faux-semblants. La ville est aujourd’hui serbe, entourée de charniers. Gilles Peress : « Il y a toujours une faillite du langage (quel que soit le langage choisi) pour décrire l’énormité de la réalité. (…) Sur une période de trois jours, 8 000 personnes ont été exécutées. Est-il possible d’imaginer ça, 8 000 personnes qui disparaissent au cœur de l’Europe ? Ca, c’est la vraie question. »
Il y a un débat sur ces photographies : on évoque leur esthétisation, et l’on juge que ce n’est pas possible, ce côté « faire du beau avec l’horreur ». Est-ce à dire qu’il suffit de mal cadrer un cliché pour dégoûter les potentiels bourreaux ? Faudrait-il se passer de ce témoignage, et laisser les médecins de l’association Physicians for Human Rights œuvrer dans l’anonymat, la solitude ?
Agissant avec un mandat du Tribunal Pénal International pour la Yougoslavie, ils opèrent en terrain ennemi, loin des proches des victimes. Le travail de Peress fonctionne comme un lien entre l’extraction et la mémoire. Il est question de travail de deuil, la condition pour recommencer la vie.
Une dernière chose : à quoi cela sert-il d’extraire ces cadavres en putréfaction ? Le TPIY a besoin de preuves. Un charnier, pour pouvoir être reconnu comme tel, doit répondre à certains critères. En vrac, citons les plus remarquable : les morts doivent être des civils, si possible assassinés les mains attachées dans le dos, les yeux bandés, tués dans le dos ou bien égorgés…
C’est le prix à payer pour apporter les preuves de la responsabilité du général Mladic et de Karadzic dans ces massacres. A condition qu’ils soient arrêtés un jour. Ils vivent en Bosnie aujourd’hui, dans la zone contrôlée par les troupes françaises.
Les photographies de Gilles Peress à Srebrenica (dont celle-ci) sont réunies dans un ouvrage à paraître : The Graves, aux éditions Scalo, avec un texte d’Eric Stover.
Egalement de Gilles Peress :
Farewell to Bosnia (éditions Scalo, 1993)
(Les photographies de plusieurs séjours en Bosnie en 1993).
Maison de la Villette
Parc de la Villette
211, avenue Jean-Jaurès, Paris 19e
Jusqu’au 12 juillet 1998
Les jeudis et vendredis de 14h à 19h
Les samedis et dimanches de 12h à 19h.