Le temps maussade n’a pas dissuadé les fans du barbu concret d’accourir au gig gracieux offert par la Mairie de Paris. On cherche du regard Tiberi sans le trouver. Et pour cause : il est à la finale du Championnat de Rugby au Stade de France. Les moyens mis à la disposition de Henry sont impressionnants. La place est encerclée de puissantes enceintes et le deuxième étage du Centre Pompidou est frangé de haut-parleurs. L’amiral en casquette s’installe au gouvernail assisté de quelques déférents moussaillons. Je ferme les yeux pour mieux partir en voyage acousmatique. Les bruits d’engrenage commencent à nous encercler, parfois si puissants qu’on craint d’être écrabouillé.
Soudain, stupeur ! un vulgaire pattern de groovebox fait son apparition ! Plus possible de voguer au gré du son spatialisé. Il n’y a plus d’espace, juste un big beat et des gargouillis devenus décoratifs. On enrage. Tout ça pour ça ?! Quelle occasion gâchée de faire quelque chose de grand ! Les beats se succèdent, de plus en plus fades. On vérifie par acquis de conscience que Pierre Henry n’esquisse pas le moindre geste à leur rythme. Le navire s’est mué en galère avec des centaines de rameurs volontaires dont la houle est dictée par le tambour. Une relâche fait naître dans le public l’espoir d’une rupture, mais en vain. La farandole des samples bateau se poursuit dans la liesse du bon peuple piercé. On se barre écœuré.
OK, ce vieux renard doit son anormale notoriété au cross-over. Il a collaboré avec Michel Colombier pour des jerks électroniques dont il tire le prestige fallacieux (une java avec trois couinements, Boris Vian et Alain Goraguer avaient fait ça avant. Et on ne cherche pas à leur attribuer la paternité de Prodigy.) Mais on s’égare. Pour les jerks, Henry avait au moins choisi un collaborateur talentueux. Là, on ne sait pas qui s’est occupé des beats, mais Lagaf’ c’est Aphex Twin à côté.
Par ce biais, Henry démontre qu’il ne rechigne pas à apparaître comme le grand-père conciliant de la techno-sphère. Et qu’il abonde implicitement dans le sens du discours débile qui veut que nos pionniers du GRM et de l’électronique sérieuse soient des visionnaires annonciateurs de l’inévitable triomphe du kick de TR909 sur tous les temps. Franchement, tout ça pour ça ?