Quand certaines suites tentent de capitaliser sur le succès du premier volet, d’autres, comme Watch Dogs 2, tentent de rattraper un rendez-vous manqué. Si Watch Dogs n’a pas été à proprement parler un échec commercial, il a tout de même raté sa mission de cheval de Troie pour la next gen, devant permettre à Ubisoft d’instaurer une nouvelle saga qui accompagnerait la PS4 et la Xbox One jusqu’à leur déclin (comme l’avait fait précédemment Assassin’s Creed avec la PS3 et la Xbox 360). Hélas pour eux (et aussi un peu pour nous), ils s’étaient pris les pieds dans le tapis de leur ambition, livrant un jeu plein de promesses à moitié tenues qui ne décollait jamais de la formule désormais routinière du Open World made in Ubi, à savoir une reconstitution méticuleuse mais impersonnelle de telle ou telle ville explorable à souhait, parsemée de tâches dépassionnées et répétitives à accomplir. Avec Watch Dogs 2, il ne s’agit plus de transformer l’essai mais de conquérir directement les sceptiques de la première heure.
Comme à son habitude, Ubisoft Montréal reprend donc les bases de son gameplay et les propulse aussi loin que possible à coup de gadget et de capacités technologiques. Mais ce faisant, il rafistole le jeu plus qu’il ne l’approfondit. Si un certain soin a été apporté à la variété des missions principales et annexes et au plaisir de jeu (le savoir-faire du développeur est bien là), un manque de finition se fait cruellement sentir (comme dans l’équilibre entre les approches d’infiltration ou frontales, ou la physique des véhicules qui laisse plutôt à désirer). En l’état, la série Watch Dogs n’est rien de plus qu’un GTA soft à la sauce high tech dont les spécificités (pourtant nombreuses) ne bouleversent jamais vraiment la trajectoire du joueur. La faute à une vision du monde (ouvert) désespérément unilatérale où les facultés technologiques du héros ne rencontrent aucun écho. Assommer un garde avec un panneau électrique via une caméra de surveillance revient finalement au même que de le latter au corps-à-corps.
Le problème d’Ubisoft Montréal, c’est qu’ils ne se posent que des questions d’ordre cosmétique (et non esthétique), estimant que le look déterminera la personnalité du jeu. En troquant le ténébreux (mais fade) Aiden contre le dissident (mais branché) Marcus, et Chicago contre San Francisco, il est clair que d’un look à l’autre, rien n’évolue, si ce n’est le ton. Et en apportant plus de légèreté et de frivolité à cet univers, les développeurs dévoilent un peu plus l’académisme inébranlable de leur méthode. Le jeu a beau dépeindre une ville sous contrôle informatique, où les moindres agissements du citoyen sont surveillés par une entreprise sans scrupule et avide d’informations personnelles, aucune once de paranoïa et d’angoisse ne vient imprégner le déroulement du jeu. D’abord parce que la bande de révolutionnaires dont Marcus est le bras droit, avec leur dégaine fashion, leur conversation à base de culture geek et leur humour décalé ne renvoie à aucun idéal politique. Difficile de prendre au sérieux cette révolte 2.0, toute embourbée qu’elle est dans les apparats de la société de consommation, qui tient plus de Steve Jobs que de Karl Marx ou George Orwell.
Ensuite, parce que l’histoire de Aiden Pearce, même si elle était tartignole, avait un soupçon de gravité qui poussait le joueur à un minimum d’implication, tandis que la dérision cool et ironique de Watch Dogs 2 accentue l’indifférence des auteurs vis-à-vis de leur récit, reléguant la lutte contre les dérives fascisantes des grandes entreprises à une partie de puzzle en réalité augmentée sur smartphone entre hipsters.
Enfin, parce qu’il y a un malaise profond à parcourir un monde ouvert où l’on peut s’autoriser toutes les exactions (meurtre, piratage de compte en banque, destruction massive d’automobiles) tout en incarnant un vengeur idéaliste, cassant d’emblée toute possibilité d’identification. Rockstar a compris mieux que quiconque l’amoralité inhérente du joueur, en le mettant dans la peau de malfrats, des losers pathétiques ou des héros déchus, il leur offre un terrain de jeu à la hauteur de leur abjection. Dans Watch Dogs 2, la dichotomie entre l’histoire et la liberté d’action laissée au joueur est trop radicale, trop schizophrène, et trahit son manque de cohérence.
Le joueur déambule ainsi dans un monde qui n’a plus aucun sens ni logique comme ces canalisations qu’on peut faire sauter à coup d’iPhone magique ou comme Marcus, le héros. À la foi hacker surdoué, nerd cool, expert en combat rapproché, as de la gâchette et acrobate accompli, il cumule tellement de capacités, tellement de facettes que sa caractérisation surfaite finit par s’effondrer. Le jeu, symptomatiquement, ne parvient pas à habiller son univers : à vouloir manger à tous les râteliers, Ubisoft Montréal n’arrive jamais à trancher, à faire de vrais choix. Il livre tout au joueur d’un bloc, transformant San Francisco en un parc d’attraction qui mime la vie et dans lequel on passe d’un manège à l’autre, alignant les concepts et les idées de jeu en une forme bâtarde et dénuée, paradoxalement, d’enjeu. Il y manque ce que la série Westworld a introduit génialement tout au long de sa première saison : un subconscient.
D’une certaine façon, les jeux de Ubisoft Montréal n’ont jamais vraiment quitté l’Animus, cet élément méta de l’histoire d’Assassin’s Creed où, à travers sa mémoire génétique, le héros revit les exploits de ses ancêtres, faisant également de lui un joueur. Dédoublement curieux qui réduisait le gameplay à un jeu dans le jeu. Si le développeur avait fini par atténuer la présence de l’Animus dans le scénario des Assassin’s Creed, ce dernier a toujours été sournoisement présent dans la conception même que ce fait Ubisoft du jeu vidéo, comme en atteste Watch Dogs 2. Pour eux, l’expérience du jeu ne se vit pas (comme chez Rockstar ou From Software par exemple), elle se joue. Tout, du level design ludique à l’IA versatile, en passant par les possibilités étendues et inconséquentes offertes au joueur, semble rappeler sans cesse via un phénomène de distanciation agaçant que, dans le fond, tout ceci n’est qu’un jeu. Les meilleurs jeux sont pourtant ceux qui se fichent éperdument de leur futilité. D’où leur grandeur, chose à coté de laquelle Watch Dogs 2 passe complètement.
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