Sept pipes s’ouvre sur une scène (en fait la scène 2) d’un comique irrésistible : Dot, la secrétaire d’un sénateur américain, répond machinalement au téléphone les mêmes phrases à ses interlocuteurs. Puis, elle reçoit un paquet, hésite, l’ouvre, découvre des photos « à caractère pornographique », et s’écroule à terre. D’autres personnages arrivent -l’entourage du sénateur (son conseiller juridique, son assistante administrative)- et commentent l’objet du délit. Le trouble est semé dans les esprits. C’est parti. Ils se demandent si elles ne sont pas trafiquées, qui est dessus, pourquoi ils en ont hérité, émettent des hypothèses, extrapolent, et pour certains déjantent (ce brave conseiller Bruce, première victime de ses humeurs dérangées, finira par se faire virer par son patron). En pleine crise d’hystérie, le groupe finit par se disloquer : « une photo ne peut pas faire du mal, elle ne peut pas rendre malade, si on ne l’est pas déjà, malade, mais si on l’est déjà, malade, elle peut rendre… encore plus malade qu’on l’est. » Le bon sens a parlé. Mais rien n’est encore joué à ce moment-là, alors que tout se précipite dans ces petites têtes de conservateurs zélés.
De cette Amérique puritaine, jonglant avec le pouvoir, mais surtout portée vers les abus de pouvoir, moralisante, Mac Wellman dresse un portrait édifiant. L’ascension de ces hommes n’est autre que celle du mal. Une citation s’impose. Le sénateur au télévangéliste Tom : « Vous voyez, Tom, vous voyez. Voilà ce que j’appelle de la langue de bois. Ça c’est du langage que j’aime parce que ce genre de langage, c’est la monnaie qui a cours dans les filières du royaume ». Le retour de Dot (partie chercher des pizzas) mettra de l’ordre dans tout cela (les autres personnages ont fini à quatre pattes). Tout s’éclaire : le sénateur incriminé sur les photos, et récemment décédé, leur a livré leur futur programme électoral : museler les « déviants » et retrouver « la norme américaine ». Il fallait y penser. Les délices soupçonnés de la succion affolant jusqu’à l’envie ceux qui la répriment. Il est vrai qu’entre-temps la pipe a été sanctifiée dans les couloirs de la Maison-Blanche, entrant de ce fait -et avec quelle hypocrisie- dans l’Histoire par la grande porte. Une histoire sans morale.