Tout autour de nous, dans les rayonnages surpeuplés de nos meilleurs bouquinistes, se trouvent de ces auteurs qui n’ont pas d’histoires à raconter, mais beaucoup de choses à dire sur eux-mêmes. Ils n’en sont pas restés au stade du carnet de notes. Ils ambitionnent qu’on les lise. Sous les conseils d’un éditeur (éclairé), ils ont pris de la distance, comme on dit, ils ont vaguement triché avec les dates, caricaturé un chouilla leurs personnages et mis un peu de liant dans leurs états d’âme pour écrire un livre qui, finalement, tombe entre nos mains. Ce qu’on lit alors, ce n’est pas une histoire terrible, un récit fantasmatique, un drame onirique ou quelque autre invention de l’esprit, mais le décompte -le solde, pour être plus précis, d’une expérience personnelle qui dès les premières pages nous paraît vaguement familière. Il y a dans ce livre un type normal, qui a des problèmes normaux, et qui les résout à peu près normalement -c’est-à-dire sans qu’il soit nécessaire de faire péter le caisson à son voisin, ni d’insulter ses parents, ni encore de devenir alcoolique. 240 pages de « micro expérience », si l’on veut, sur un type comme vous et moi, encore que, mais bon.
Bien des romans aujourd’hui sont tirés de « micro expériences ». La vie étudiante ici. La contemplation des gouttes de rosées sur le carreau, là. Des bricoles, qui toutes sont bonnes pour faire un livre. Dans Haute fidélité, c’est la musique. La bonne vieille musique rock. Le trente trois tours comme expérience ultime de la vie. Le personnage principal, Rob -mais aussi Nick Hornby, pourquoi se le cacher ?-, est anglais. C’est l’histoire d’un type qui vit à Londres, dans un deux pièces pourri à Crouch End. Les murs sont recouverts de cassettes et de disques. Sa copine le quitte et il est malheureux comme les pierres. Bien entendu, il ne sombre pas : il a pour lui la musique, et l’ironie.
Haute fidélité est donc un livre facile -et à coup sûr pourquoi se refuserait-on le plaisir d’une lecture facile, superficielle sans doute mais drôle, et qui ne laisse pas de trace, quand on l’a sous la main ? La vie est trop courte ! me direz-vous en prétextant n’avoir lu ni le dernier Philip Roth, ni un seul des Chants de l’Odyssée. Disons qu’il suffit de prendre les choses là où elles se trouvent. Ainsi, Rob fait des listes (et Nick Hornby aussi sans doute). Liste des cinq meilleurs albums de tous les temps. Liste des dix meilleures face A. La liste-hommage pour le père décédé de sa copine. Et le palmarès du DJ au Groucho Club. Comme l’affirme Rob dans une de ces soirées horribles où il n’a pas sa place : « ces gens-là (…) ont des boulots intelligents et moi un boulot idiot, ils sont riches et moi pauvre, ils ont confiance en eux-mêmes et moi je suis inconséquent, ils ne fument pas et moi si, ils ont des opinions et moi des listes ». Pourquoi ne pas en profiter ? Il suffit de prendre des notes, et filer chez le disquaire. La vie est trop courte, en effet.