Étrange trajectoire que celle du nouveau film de Nicolas Boukhrief : produit en 2014 dans l’indifférence générale, ce tableau de la France djihadiste a vu sa sortie différée de longs mois après les attentats de Charlie Hebdo. Puis, concentrant légitimement les regards au moment de sa ressortie en fin d’année, il est à nouveau déprogrammé suite aux attaques du 13 novembre. Un ressac qui finira pas avoir définitivement raison de sa présence en salles, le film se contentant aujourd’hui d’une sortie en VOD. Malgré une presse bienveillante et un titre tapageur, Made in France n’aura donc pas résisté à la pression suscitée par son statut de première fiction post attentats.
Difficile, dès lors, de savoir par quel bout prendre ce récit d’infiltration reconverti malgré lui en tragique chambre d’échos, tant les réminiscences des événements viennent recouvrir le bourdonnement tranquille d’une petite série B qui n’en demandait pas tant. Le film suit le parcours d’un journaliste fréquentant une mosquée radicale pour y étudier les rouages de l’islamisme. Mais son travail va prendre une toute autre tournure au moment d’intégrer un peu à son insu une cellule terroriste, pilotée par un trouble instigateur au regard de serpent.
Cela vous dit quelque chose ? Le personnage d’insider mis à part, Made in France reprend peu pou prou le programme de La Désintégration de Philippe Faucon (même groupuscule aux élans contradictoires, même mentor au discours de velours, même projet d’attentat à la voiture piégée), auquel il ajoute un peu de muscle polardeux (quelques scènes de braquage et de fusillade, toutes fades et oubliées dans la minute). Mais là où Faucon auscultait la radicalisation terroriste à la façon d’un engrenage imparable, donnant à observer le fonctionnement habile de l’endoctrinement, Boukhrief préfère figurer la chose comme une terra incognito au storytelling séduisant, une sorte de club des Cinq pour héroïsme en manque de valorisation.
Approche pertinente, qui dessine une jeunesse attirée moins par une idéologie que par un imaginaire hybride, à la croisée d’Hollywood et d’Al Qaïda, de Tony Montana et de Ben Laden. Les meilleures séquences restent ainsi rivées à la description d’une sorte de quotidienneté du terrorisme urbain, mêlant complicité masculine et préparatifs techniques. Piochant tranquillement dans la boite à outils du film de réseau clandestin, Boukhrief gère plutôt bien la circulation des points de vue entre les membres du réseau, dessinant un portrait prévisible mais convaincant des “égarés de la république”, quelque part entre le moudjahidine et le castor junior. Après un Gardien de la paix en dessous de tout, on demeure agréablement surpris de voir l’ancien rédacteur de Starfix tenir pareil protocole sans anéantir la crédibilité de son film au bout de 10 minutes.
Mais la limite de Made in France est celle de son personnage principal, journaliste pris de cours par la précipitation des événements, coincé entre ses acolytes terroristes (qui se méfient de lui) et ses nouveaux patrons de la DGSI (qui lui en demanderont toujours plus). Un protagoniste au pragmatisme fade et révélateur des précautions de Boukhrief, qu’on sent à la fois excité par son sujet et très inquiet de ce qu’on pourrait faire dire à son film. D’où un constant et artificiel souci d’équilibrage et de modération, sensible dans cette manière qu’à le récit de désamorcer les bombes qu’il dépose lui-même sur son chemin — le groupe est black-blanc-beur et majoritairement financé par son renégat catholique ; le journaliste est le seul musulman savant de la bande et sera sauvé par son exemplaire du Coran.
À force de zigzags entre les zones à risque de son sujet, le film finit donc logiquement par tuer son potentiel, jusqu’à ce twist rabougri qui, exposant la véritable identité de son bag guy, offre à Boukrief de s’approprier un refrain de société et de cinéma connu (l’ennemi vient toujours de l’intérieur), résumé par le titre sans être jamais vraiment interrogé. Surtout qu’entretemps, l’actualité a donné à ce terrorisme made in france une autre réalité, avec laquelle le film se trouve du coup bien en peine de dialoguer. Là encore, les événements de 2015 auront été cruels pour ce film jamais honteux, pas vraiment à la hauteur non plus, en vérité assez anodin.
Ah merci quelque instants j’ai cru que Boukhrief était devenu le nouveau Michael Mann avec toute ces critiques nous vantant un grand film mais en effet Made in France avec son titre et son affiche racoleuse passe difficilement le cap de la série b socialo-explosive,la qualité du montage d’un Philippe Faucon manque ..