Sur les talons du Réveil de la force, un autre « épisode sept » vient mettre en abime sa propre recherche du père. Bien que cousu-main par un fanboy fiévreux (Ryan Coogler, trente ans, auteur de Fruitvale Station), Creed est un peu plus qu’un spin-off sur le fils d’Apollo, l’antagoniste repenti de la saga Rocky. Tout comme Creed Jr. cherche à rejouer le triomphe de son aîné, Coogler vise un remake implicite du premier volet, tout en parachevant le grand roman-feuilleton biographique de l’aïeul Stallone. Il s’agit en somme de filmer une passation de pouvoir entre deux générations (là où J.J. Abrams fait coexister les anciens et la jeune garde), et d’offrir une sortie digne à Rocky Balboa, rendu à sa condition d’underdog depuis le sixième film. Désormais en âge de raccrocher pour de bon, Balboa trouve ici l’occasion de se façonner un héritier en la personne d’Adonis Creed, et d’entonner un chant du cygne à peine déguisé.

La quête du père, ici, c’est d’abord celle d’Adonis, joué par Michael B. Jordan comme un bloc d’opiniâtreté  – mais un bloc lisse et grossièrement taillé, hélas. Le poulain dissimule sa flatteuse filiation avec Apollo, puisqu’avant de la révéler au grand jour, il lui faudra s’en montrer digne. Logiquement, Balboa est le seul entraineur à même de le conduire vers la gloire, lui dont la légende rejoint directement celle de son père. Echange de bon procédé : le jeune loup reçoit un précieux coup de pouce pour monter sur le trône, et Balboa trouve un continuateur pour filer une success story restée au point mort.

Une tel passage de flambeau ouvre logiquement la porte à une forme de nostalgie, voire à un souffle morbide qui fait à la fois le relatif intérêt et la limite de Creed. Raconter une telle transition suppose bien sûr de filmer la déliquescence de Sly, et Coogler s’acquitte de cette phase palliative sans lésiner. À nouveau rétrogradé en proprio de pizzeria miteuse, titubant jusqu’au cimetière pour lire le journal à sa veuve et au bon vieux Paulie, Stallone semble s’assumer comme jamais en vieux taulier délaissé par l’oeil du tigre. Loin de se complaire dans un pathos édifiant, Coogler fait de son naufrage une sorte d’affranchissement : c’est parce qu’il a ici renoncé fermement au titre d’action hero que Sly peut s’autoriser à apparaître en vieux schnock encore charismatique mais tout de même un peu flageolant. Surtout, c’est l’opportunité pour lui de devenir un mentor à temps plein. Alors que les Expendables semblaient indiquer son refus de s’éclipser, de léguer la part du lion à un disciple tout désigné (Statham, censé être son successeur, a presque cinquante ans et fait plutôt office de faire-valoir à peine plus vert), Creed fait de lui une réincarnation de Mickey Goldmill, le coach rabougri du premier volet. Juste retour des choses.

Mais la veine mortifère du film devient problématique dès lors que le récit se focalise sur Adonis : Coogler s’égare alors dans une sommaire entreprise de body snatching, se contentant de dépouiller le cadavre du film de John G. Avildsen (footing à travers le hood, séquences clippées où le rap a fatalement supplanté Bill Conti, etc). Même les leviers psychologiques permettant au challenger d’avancer vers la victoire reviennent des vieux Rocky : lors du match disputé en guise de climax, c’est l’apparition granuleuse du paternel, dans un stock-shot tiré de son premier combat avec Balboa, qui poussera le jeune cador à se relever. Là, l’élégie mue en complaisance charognarde, ce qui est d’autant plus fâcheux que Creed peine à supplanter son modèle sur le terrain de la nervosité (après un premier combat ahurissant, la mise en scène cafouille lors du second) et ne manque pas de s’embourber dans un drôle d’entre-deux. Moitié dieu reaganien, moitié beautiful loser, Adonis épouse une trajectoire oscillant entre l’ascension doloriste du premier épisode de la saga, et la fureur plastronnante du troisième. Pourquoi s’acharner à destituer le père Sly, si c’est finalement pour lui rendre un hommage en forme de grand brassage rétrospectif ? Creed confirme en cela l’étrange réticence des jeunes légataires d’Hollywood à tuer franchement leur père quand on leur en offre l’occasion.

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