Ecrire l’histoire du rock consiste surtout à la réécrire. A réhabiliter les groupes passés aux oubliettes du business, à redorer le blason du Gun Club, des Soft Boys, des Replacements… Silkworm, trio américain formé à Missoula et basé à Seattle, semble bien parti pour ce statut bâtard de « groupe culte ». Leur nouvel album, Lifestyle, s’inscrit pourtant dans la lignée de trois chefs-d’œuvre : Firewater, Developer et Blueblood. Trois disques au-dessus de la mêlée, volant si haut qu’ils n’ont rencontré qu’une vague indifférence. Même Greil Marcus plaide la cause de Silkworm, expliquant que le groupe a gravé « la meilleure version possible d’I heard it through the grapevine » sur un live pirate de haute tenue. Rien n’y fait. Silence radio côté public, vague sympathie côté média.
Ce dernier album renversera-t-il la vapeur ? Pourquoi pas ? Le groupe semble creuser le même sillon que sur les premiers titres de son précédent disque Blueblood : un rock carré, presque stonien, avec quelques interventions de piano très Nicky Hopkins. Des titres comme Treat the new guy right ou Dead air justifient l’achat immédiat d’un auto-radio. Ou d’une voiture. Cette musique est directe, évidente mais jamais banale. Pour rendre hommage à ce rock débraillé et jouissif, Silkworm reprend Ooh La La des Faces. Le tout avec leur son habituel, forgé par les hommes de Steve Albini à Chicago : un modèle de production rock.
Lifestyle ne se résume pas à quelques titres solides. Silkworm a toujours su creuser sa formule « plus pop que Shellac, plus rock que Pavement » pour en sortir une musique vraiment unique. L’album débute avec une fascinante pop song, bizarre digression sur Le Mépris de Godard. Un solo de piano très soft vient ponctuer le refrain. Silkworm en terre indie pop. Le ton monte d’un cran avec Plain. Le trio crée alors un groove très Stones. Ce titre frôle la perfection. Mention spéciale à Michael Dahlquist et sa partie de batterie retenue, lumineuse, d’une intelligence rare. Deux prises de guitares subtiles s’affrontent. Plain ne cesse de monter mais n’explose jamais. Tout un art. La même science que l’on entend sur That’s entertainment, l’un de ces tempos ultra-lents que Silkworm négocie à la perfection, entre Led Zeppelin et Neil Young. Ici, plus que la guitare, le chant emporte le morceau, avec cette voix brute, légèrement fausse, déjà parfaite sur Dead air et son « la-la-la » tuant de désinvolture. Around the outline enfonce le clou, avec un son lourd et une basse uppercut.
La ballade acoustique Bones conclut l’album et mérite plusieurs écoutes (au casque) pour profiter pleinement de toutes les guitares et de ce piano subtil. L’ambiance retombe peu à peu, les guitares s’estompent. « We’re all gonna live a long time before we go » chante Tim Midgett. Pourquoi attendre dix ans et découvrir Silkworm dans la rubrique Rééditions ? Dans dix ans nous serons juste assez vieux pour écouter les lamentations sans fin de Radiohead. Silkworm joue, ici et maintenant, une musique excitante, directe, énergique, live, originale… Internautes, la balle est dans votre camp, semble-t-il.