« Tu te sens un peu seul et tu en as assez d’écouter Marilyn Manson ? Tu veux te faire de nouveaux amis en imper noir et aux yeux charbonneux, emballer les plus jolies gothiques de la capitale ? Tu ne sais plus comment épater tes amis dans les messes noires du Père-Lachaise ? Alors achète mon livre… »
Oh, il saurait se vendre aujourd’hui, le cher vieux Collin de Plancy, qui n’avait que trop le sens des affaires et du sensationnel, et que rééditent avec bonheur les éditions 10/18. Né en 1793, débutant comme séide de Voltaire l’Antéchrist et finissant catholique enragé en 1887, ce génie de la compilation serait bel et bien oublié aujourd’hui sans la publication, en 1825 et 1826, du véritable Dictionnaire infernal. Nodier et Huysmans lui doivent une fière chandelle ; Hugo lui-même, dit-on, piocha allègrement dans son Dictionnaire pour les moments les plus occultes de son Notre-Dame de Paris. On aurait aimé que la bande de Richard Cocciante en fît autant…
Ce dictionnaire ne manque pas de sel en effet : élaboré à la façon d’une somme sur tout ce qui a plus ou moins partie liée avec le diable et la magie, il regroupe sur 378 pages les anecdotes les plus scabreuses et les plus fantaisistes sur la bande de Lucifer, classées par articles, de Abel de Larue, qui n’est pas le cousin de Jean-Luc, à Zozo, qui en est peut-être un. Page après page, on voyage avec l’impression très nette d’aller et venir à travers les couloirs d’un véritable petit musée du folklore occulte, depuis l’ethnographie populaire jusqu’aux lisières de ce qu’on appellera par la suite le Romantisme « frénétique ». Extravagant ou insolite, jamais ennuyeux, Plancy compile absolument tout, des petits romans noirs de la littérature populaire aux traités para-scientifiques hérités de l’illuminisme fin XVIIIe. Sans oublier ses propres ouvrages, qu’il cite à tour de bras, professionnel du « copier-coller » voire de l’auto-citation puisqu’il va jusqu’à se consacrer un article (Collin de Plancy (Jacques), p.134.) On sera ainsi sensible à la voix « omni-plaisante » de cet auteur qui ne se prive jamais d’y aller de son petit commentaire : « un soldat, dans le même siècle, après avoir joui des faveurs d’une belle femme, ne trouva dans ses bras que le cadavre d’une bête pourrie, ce qui est peu agréable » (p. 354).
Au terme de sa lecture, notre petit gothique esseulé, mais encore tout amateur de curiosités historico-littéraires, saura sans faux pas réaliser une parfaite Danse du sabbat, dont « aucune fille ne revient aussi chaste qu’elle y était allée » (p.145) ; emprunter, lorsqu’il sort aux Bains-Douches, la Voiture du diable (p.374), bien plus rapide et plus chic que le taxi, et ne pas confondre, une fois là-bas, Larusso avec une Succube (p.354), autrement nommée « Dulcinée du noir empire ». Il regrettera cependant d’être trop jeune pour avoir pu inviter à prendre un thé au gingembre la très sexy Antoinette Bourignon (p.91), « fameuse visionnaire née à Lille en 1616, si laide qu’à sa naissance on hésita si on ne l’étoufferait pas comme un monstre [et qui] se consola de l’aversion qu’elle inspirait par la lecture des livres mystiques qui enflammèrent son imagination vive et ardente ». Tout un programme… A lire avant consomption.