A tout juste vingt ans, Samira Makhmalbaf fait déjà partie du cercle envié des cinéastes choyés par les festivals du monde entier. Après un premier film, La Pomme, très bien accueilli lors de sa présentation à Cannes en 1998, voici Le Tableau noir choisi pour concourir cette fois dans la prestigieuse sélection officielle 2000. Deux longs métrages auront suffi à imposer la jeune femme. Pourtant, difficile d’ignorer derrière ce succès foudroyant l’ombre tutélaire du père, Mohsen Makhmalbaf, immense figure du cinéma iranien.
Produit par la Makhmalbaf Film House, d’après un scénario rédigé en grande partie par Mohsen Makhmalbaf lui-même (qui en a aussi effectué le montage), Le Tableau noir semble être autant l’œuvre du père que de la fille. Une collaboration à deux qui brouille quelque peu les pistes… Construit selon un récit bipartite, Le Tableau noir suit l’itinéraire de deux instituteurs qui errent de village en village, leur tableau sur le dos, à la recherche d’élèves. L’un essaie de convaincre des adolescents chargés de passer clandestinement des marchandises à la frontière entre l’Iran et l’Irak. L’autre s’acharne à redonner le goût d’apprendre à un groupe de vieillards plus préoccupés par leur désir de rejoindre leur pays natal. Comme chez Kiarostami, le récit est avant tout un trajet auquel la mise en scène se fond en essayant de capter au mieux la présence du paysage et la place du personnage au cœur de ce dernier. On retrouve ainsi dans Le Tableau noir ce même sens du cadre sachant tirer toute la beauté d’un décor grandiose (les couleurs ocres et jaunes des collines du Vent nous emportera, les serpentins rocailleux et vertigineux ici).
Si les images de Samira Makhmalbaf sont très belles, elles ne suffisent pourtant pas à pallier le défaut majeur du film : la surcharge symbolique. En poésie, les métaphores les plus belles sont souvent les moins évidentes. De la distance entre le sujet et son image peut se juger la qualité du poème. Dans le film, le tableau porté -sur le dos- par les instituteurs (équivalent de la porte charriée par le héros du sketch de Mohsen Makhmalbaf dans Les Contes de Kish) servira à autre chose qu’à enseigner. Transformé en attelle destinée à un blessé, hissé sur les têtes pour se protéger des balles, brancard improvisé pour un vieillard mourant, le tableau n’est rien moins que le catalyseur de la misère d’un peuple, l’emblème de la distance qui sépare le besoin de culture des nécessités de la survie. Autant de situations empreintes d’un pesant symbolisme. Le constat d’une vérité tragique n’excusera jamais la mollesse de sa description. On ne saurait alors conseiller à la jeune Samira (qui fait preuve d’un réel talent dans la réalisation) d’oublier les tics de son paternel afin de voler de ses propres ailes…