Voici enfin le premier album très attendu du Californien Sutekh, figure emblématique de la nouvelle scène minimale américaine (on citera également ses comparses Safety Scissors et Twerk, Jake Mandell, Stewart Walker ou Kit Clayton, tous plus ou moins chouchoutés par les labels d’Achim Szepansky) avec son label Context. Sans surprises ou presque, le disque sort sous le double label Force-Inc/Mille Plateaux (rappelons que le premier est la maison mère du label polycéphale berlinois et le second son sous-label le plus prestigieux), car il se situe juste à la croisée de deux directions fondamentales des deux labels, la techno plus ou moins minimale et la musique électronique expérimentale dont Mille Plateaux s’évertue à représenter toutes les facettes, ou presque.
La musique de Sutekh est du reste assez facile à définir une fois cet aspect des choses assimilé : une techno très rythmique mais très subtile et très éthérée -un peu à la façon de Monolake- soutenant des nuages ambient électroacoustiques servant eux-mêmes de fond à des inserts bruitistes extrêmement discrets… Le propos minimal et l’utilisation de motifs rythmiques ultra-répétitifs sont avant tout destinés à surligner la vocation première de cette musique sans nom et sans titre (cf. l’utilisation de points sémantiques révélateurs…) : dire et évoquer la beauté des sons, la beauté du son. Une tâche ardue qui est à la fois l’intérêt principal et le gros défaut de ce disque qui se perd dans les méandres de sa propre unité. Infrabasses invisibles, rythmes deep en 4/4 légers, brumes mélodiques et grésillements divers (cliquetis concrets, souffles) s’organisent en de denses univers sonores à la profondeur déroutante. C’est du reste la plus grande qualité des morceaux-points de ce disque caractériel : un son extrêmement puissant et subtil qui rappelle à quel point l’appareil auditif peut être une zone érogène lorsqu’on laisse les sons vivre et respirer. Respiration, air, souffle : résumé parfait de ce disque à la fois imparfait et bluffant, péchant probablement par sa trop grande ambition, car trop posé, trop anodin, trop discret, trop subtil, et ne donnant finalement à entendre qu’une inquiétante biosphère électronico-acoustique. Les amateurs de défrichages sonores préféreront réécouter l’ébouriffant Double-Entendre EP sorti sur Context l’année dernière, ou bruitisme et grands espaces cohabitaient en toute tranquillité, les autres -surtout ceux en quête d’espace et fatigués des sempiternelles mêmes nappes dubbisantes façon Scape ou Chain Reaction- se rueront vers ce disque lénifiant, finalement réminiscent des premiers disques de… The Orb.