Forglen, le premier morceau du premier album studio de Janek Schaefer (il a déjà sorti une collection de performances live sur K-RAA-K3), rappelle étrangement certains passages du premier album du laptop composer autrichien Christian Fennesz (Hotel Paral.lel, sorti en 1997). Pourtant, si les deux hommes ont parfois joué et improvisé ensemble, leurs univers respectifs devraient a priori être antithétiques, ou presque : Fennesz travaille sur son portable avec la dernière génération de logiciels alors que Janek Schaefer, un peu à la manière de son (presque) homonyme, pionnier de la musique concrète, préfère le bricolage et le détournement de moyens jugés d’ordinaire bien sommaires par les artisans de la cause electronica, comme la paire de platines « tri-phoniques » (des platines à trois bras amovibles de son invention) qui a fait sa réputation. La ressemblance esthétique est frappante : même utilisation de l’accident sonore, aussi bien comme élément constitutif (craquements, ruptures, clicks intempestifs) que comme revendication esthétique, justement, même érosion et finalement revitalisation de la musicalité. Finalement, le fait que les univers sonores respectifs des deux hommes soient si proches démontre à quel point les moyens utilisés peuvent au final être secondaires, même dans une musique tirant une partie de son essence de la critique et de la remise en question du moyen en lui-même.
Schaefer semble pourtant n’avoir que peu à faire de ce dernier élément, et se distingue en cela radicalement de certains de ses confrères platinistes (de Christian Marclay à Martin Tétreault ou Otomo Yoshihide) en privilégiant avant tout la musicalité inhérente au médium : on songe au Français Erik M, et surtout à Philip Jeck, dont l’univers très imagé est finalement le plus proche de celui de Schaefer. Semblant très attaché au contenu sémantique et culturel des sources sonores qu’il utilise (un vieil orgue familial et les résidus de son enregistrement, le bras défectueux d’une platine…), Schaefer développe de longues plages calmes pleines d’évocations affectives et visuelles, très délicates et très fragiles, constituant, une fois mises bout à bout, un univers émotif très tenu et très personnel, loin de tous clichés et de toutes facilités, à l’image du très beau Tonearm two (le plus beau morceau du disque, sans hésitation) qui rappelle à quel point la musique ouvertement expérimentale peut être émouvante et essentielle lorsqu’elle est le témoin d’un mouvement artistique sincère.