Un des plus grands films des années 70 ? Il est, en tout cas, permis de préférer ce thriller intimiste, travaillé par une authentique inquiétude, à la plupart des œuvres manifestes dont la période regorge. Réalisé après le succès aussi phénoménal qu’inattendu du Parrain, où Coppola raflait tous les Oscars, Conversation secrète conquit le public cannois, qui lui attribua en 1974 le Grand Prix du festival (la Palme d’or de l’époque). Le film, l’un des premiers produit par American Zoetrope, la propre société du cinéaste, n’eut qu’un succès limité. Cela n’empêcha pas Coppola d’être à ce moment-là le cinéaste le plus respecté par le public et par la critique, le chef de file de la nouvelle garde hollywoodienne, et le représentant le plus éminent du cinéma américain dans le monde. Effet galvanisant du succès et de la reconnaissance : quatre ans après, il risque sa carrière et la totalité de ses biens dans la folle entreprise d’Apocalypse now, qui lui rapporte une deuxième Palme d’or…
Ce second succès, avec le temps, avait un peu éclipsé Conversation secrète. C’est pourtant un film singulier, à part dans la filmographie de Coppola, même s’il forme avec Le Parrain et Apocalypse now une trilogie cohérente sur l’Amérique contemporaine. Ce « plombier » (un as de l’écoute et de l’espionnage) joué par Gene Hackman, chez qui le malaise monte lorsqu’il découvre qu’il a été témoin d’un meurtre, est un personnage qui révèle une réelle sensibilité et une profonde acuité psychologique chez le cinéaste. Harry Caul est un être solitaire et obsessionnel à qui son habileté technologique pose soudain un problème moral auquel il n’était pas préparé (on songe à ce que Coppola a mis de lui-même dans ce personnage : comme lui, il a été atteint enfant par la polio). C’est un être frustré dans son désir de communication, porteur d’une exigence morale dans un environnement déshumanisé, et détenteur d’un pouvoir qui, en toute logique, va se retourner contre lui.
Mystérieux, angoissant, Conversation secrète bénéficie d’une mise en scène d’une rare intelligence, à la fois pudique et très audacieuse. Dans le travail sur le son, par moments presque expérimental, comme dans la description désenchantée de la ville (couloirs, bureaux, parkings), le cinéaste se réinvente constamment. En somme, une œuvre magistrale.