Les inspecteurs d’Europol sont sur les dents : en Allemagne, l’assassinat d’une jeune femme dans des conditions particulièrement atroces est diffusé sur le Web. L’inspecteur français Brenner se rend à Québec, où l’on a trouvé trace de la victime. Avec l’enquêtrice Johanne Desjardins, il fouille les chat, ICQ, et découvre un certain Coolwebbeur dont la trace électronique figurait sur l’ordinateur de la victime. A titre d’appât, Johanne entre dans le jeu de la discussion on line ; elle « rencontre » Coolwebbeur et joue si bien son rôle de jeune femme perdue et solitaire qu’elle finit par se laisser aller à de réelles confidences, pénétrant un monde virtuel dont l’issue pourrait lui être fatale.
Nécroprocesseurs, de Jacques Vettier, est un exemple de ces nouveaux romans noirs qui conjuguent le genre au futur proche. Vettier étoffe une intrigue -somme toute très classique-, par la mise en fiction de techniques encore neuves pour le commun des mortels, et cependant sur le point d’être des éléments indispensables de son quotidien. On découvre ainsi des utilisations du Web insoupçonnées pour le consommateur basique, ainsi que les travers incontournables qu’elles génèrent. On ne se contente plus de faire ses courses ou de satisfaire sa curiosité sur le Net : on y abandonne sa solitude, on s’y confie, et on y tue. Par ailleurs, Vettier met en scène une Europol très efficace, qui, comme le Réseau, a la faculté de tisser sa toile autour de ses victimes, grâce à sa rapidité de transmission et à la densité de ses informations.
Ce type de romans noirs, qui connut son essor en France avec l’avènement de Maurice Dantec et de ses Racines du mal (1996), pose en substance les mêmes questions que les romans noirs traditionnels : il y est question des limites fluctuantes entre le Bien et le Mal, de l’inventivité criminelle et de la ténacité de ceux, héritiers des principaux protagonistes du roman criminel classique (Sherlock Holmes, Nestor Burma, etc.), qui ont décidé de défendre une certaine vision du monde.
Depuis le succès des Racines du Mal, qui mettait en scène la lutte-poursuite d’un homme et de sa neuromatrice contre une vague de criminalité particulièrement sadique sur le point de se mondialiser, les ouvrages mêlant intrigues noires et thématiques du roman d’anticipation -voire de SF-, se sont multipliés. Il faut dire que depuis le début des années 90, toute maison d’édition qui se respecte a sa collection noire, voire son option symbiotique Noir/SF (« Babel Noir »/Actes Sud, « Cabinet noir »/Belles Lettres, Baleine/Macno, etc.). Elles ont permis d’ouvrir les portes à de nouveaux auteurs et à une vision moins étriquée du genre que celle imposée par les classiques.
Gageons que cette voie pourrait engager le roman noir vers un avenir épanoui, pour peu qu’il ne se rétrécisse pas devant la facilité dramatique trop souvent présente dans ce type de récits.