Le lycée Condorcet peut s’enorgueillir d’avoir abrité parmi ses élèves un jeune homme au génie précoce (et durable).
Placé sous le signe de la planète saturne, il eut sa vie durant » bonne part de malheur et bonne part de bile. » Son nom : Paul Verlaine.
En pleine époque de triomphe de la bourgeoisie industrielle, il parla avec simplicité de sa tristesse et de ses angoisses face à ce monde nouveau. Sans effusion excessive, affranchi des encombrantes influences parnassiennes, il annonçait déjà par la douce musique de ses Romances sans paroles – aujourd’hui rééditées dans l’éclectique collection Librio – les heures les plus sombres de l’ère technique et la puissance de son pouvoir mortifère. Sa vie prenait alors une tournure similaire. Partagé entre sa trop charmante épouse Mathilde Mauté de Fleurville et le souvenir encore vivace de son » compagnon d’enfer « , Rimbaud – nous sommes en juillet 1873, au lendemain du coup de feu maladroit tiré à Bruxelles -, il mena une vie d’errance au gré de ses humeurs vagabondes, avant d’être rattrapé par le tribunal correctionnel qui le mit sous les verrous. Car c’est en prison que Verlaine composa la majeure partie de ce recueil de brefs poèmes. Il y trouva de nouveaux accents à sa voix poétique. Prenons pour preuve l’admirable élégie ayant pour nom « Green » : » Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches / Et puis voici mon cœur qui ne bat que pour vous. / Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches / Et qu’à vos yeux si beaux l’humble présent soit doux. «
Mélancolie et indécision étaient des sentiments qui lui allaient bien. Ils furent ceux d’un cœur plongé en pleine équivoque, hésitant entre le calme d’une vie conjugale et le goût de l’aventure. D’exaltations en chimères sentimentales, de rêves érotiques en déceptions cruelles, Verlaine conserva jusqu’à sa mort cette nature nostalgique et angoissée à l’idée de la solitude. C’est de ces Romances que date son passage de la ligne. Et s’il se remit peu de temps après au catéchisme, son œuvre n’eut pas à en souffrir. En attendant, le masque venait de tomber. L’homme apparaissait plus que jamais dans toute sa nudité. Jusqu’à l’os.