S’il y avait un hymne des îles de l’Océan Indien, il serait certainement taillé sur la base d’un rythme en 6/8 ou en 12/8. Normal ! Puisqu’aux Comores, on a le mgodro. A Maurice, la Réunion, Seychelles… le séga. Et à Madagascar, le salegy (prononcez saleg*). Autant de rythmes cousins qui charrient une même envie de se hisser au-dessus des petits malheurs du quotidien. Au nom de la fête et du dialogue des corps qui dansent (au pas du malesa notamment). Tous émanent ou presque d’une même source originelle jusqu’alors peu figée par les musicologues. Tous se jouaient en acoustique, avant de se laisser happer par le son électrique et rockisant des années soixante/soixante-dix. Tous ont l’air de revendiquer les mêmes choses. Avec le même bonheur toujours, puisqu’ils sont tous devenus des genres musicaux à succès dans ces îles.
Une belle revanche en somme, se doute-t-on, pour ceux qui pratiquent ces genres, dans ces pays où la musique attend encore de retrouver tous ses droits. A Madagascar, l’homme qui a su le plus contribué à la modernisation et à la codification du rythme traditionnel (interprété habituellement à coup de kabossy, valiha et accordéon) en salegy urbain (guitare, basse, batterie, clavier) s’appelle Eusèbe Jaojoby. Ancien journaliste, devenu king du genre sur son île natale, il est depuis la fin des années 80 propulsé sur la scène internationale, avec son groove, nerveux, sa voix, intense, ses mélodies, puissamment tiraillées entre le bassessa (version plus lente, typique des régions est de Mada) et le tuska (plus rapide, au sud de l’île) sur des textes qui n’entendent parler que d’amour. E tiako, enregistré, comme le précédent, sous la direction d’Hervé Romagny (guitariste de Ray Lema) mais dans de meilleures conditions, est l’album qui reflète le mieux cette tendance. Il est authentique, torride et entraînant.
* Certaines voyelles ou syllabes situées à la fin des mots se prononcent rarement en malgache.