Il existe des albums qui vous évitent le quotidien avec son flot d’angoisses et ses courts moments de bonheur. Des albums qui vous vendent du rêve virtuel, à défaut de pouvoir façonner un monde réel à 100% positif. Des albums en somme qui refusent de nous prendre la tête avec des interrogations sur le devenir de la planète dans une époque où la décomposition semble courir après chaque chose et derrière chaque être. Et puis il y a des albums qui font l’inverse. Qui se veulent utiles par rapport à la société dans laquelle nous vivons. Ce type d’album ou de musique comporte toujours un ou des messages qui permettent à l’artiste d’entamer une vaste réflexion sur le monde qui l’entoure et d’ouvrir le dialogue avec son public mélomane. Le secret tient dans l’art de joindre l’utile à l’agréable. Pondre une musique, belle en soi, qui contribue en plus à l’éveil de la conscience humaine, n’est-ce pas un immense bonheur que l’on apporte à celui qui prête dûment ses oreilles ? C’est le cas en tous cas de cet album qui s’écoute… comme on ouvrirait un livre.
D’une page à l’autre, les chansons se suivent et racontent non pas un monde meilleur mais un monde qui demande à ce que l’on vive intelligemment. Avec humour et générosité. Les titres se présentent sous la forme de petits contes philosophiques, fortement imbibés de social réalisme. Soweto s’arrête sur les misères et les splendeurs d’une cité qui préfigure bien des drames de l’Afrique urbaine certes mais qui irradie tellement par son besoin d’amour et de libertés. My son relate la nostalgie du père éternel. De là à ce que l’Afrique s’inquiète d’être orpheline… Everything s’immisce dans la bêtise des technologies qui nous séparent. Où quand la machine remplace les cœurs, créant par la même occasion un mur là où il devrait y avoir échanges. Que faut-il faire ? rugit contre les affaires. Contre ceux qui pourrissent l’océan avec leurs fûts nucléaires et contre ceux qui font les guerres. Toxu s’inscrit comme un hymne à la renaissance du continent noir, tout en rendant un hommage sans excès au vieux patriarche Mandela. Et ainsi de suite. Jusqu’au cri final pour l’unité de l’Afrique sur Colobane. On oubliera pas de jouir au passage de ce joyau tubesque qu’est Samba-le-berger… Ou comment faire passer le tragique des « Sans-Papiers » sous le ton de l’humour au nom -bien sûr- de la mémoire et du respect dû à l’Autre.
Pas de démagogie, ni de fausse pédagogie. Wasis n’est ni prêtre ni militant de métier. Sa révolte nous parle humblement. Il ne joue pas aux donneur de leçons sous la gravité soumise de sa voix… sauf peut-être en musique. Car le son est jouissif chez lui. A la fois raffiné, alternatif et futuriste. Plus qu’un treize titre de plus en cette période de surproduction musicale (le chiffre est porte-bonheur), son album sur ce plan-là est un manifeste de modernité absolue. Même lorsqu’il reprend le succès des Talking Heads (Once in a life time). Du grand art. Avec des invités de marque. A commencer par la magnifique voix de Kaoru son épouse. Beth Hirsh, qui collabora avec le groupe Air. Le couple aveugle du Mali : Ahmadou et Mariam. Wally Badarou, ancien compère béninois de Jean-Paul Goude sur la musique du bi-centenaire de la révolution française, à la co-prod. Et bien d’autres encore.
Guitariste du fabuleux West African Cosmos au milieu des années 70, rat de studio connu pour ses audacieuses collaborations (la bande-son du film Hyènes, réalisé par Djibril Mambety Diop, un album avec la chanteuses Amina, entre autres aventures), Wasis l’élégant s’inscrit dans une grande tradition d’artistes voyageurs qui savent apporter à la fierté des sons du terroir d’origine la force du monde qui les nourrit. Certains le voudraient rock, d’autres l’affirment très world. Lui s’estime avoir le droit d’être un lebu* du Sénégal à la recherche d’une nouvelle tradition musicale urbaine… qui murmure l’universalité du monde. Il n’est pas besoin de se renier, il n’est pas besoin non plus de se laisser figer par le temps et les étiquettes. Il aime le rock parce qu’il lui rappelle la transe et l’immédiateté de certaines musiques africaines. Mais ses racines continuent à l’accompagner dans ses différentes quêtes. « C’est dans le sang qui coule dans mes veines. C’est dans mon rythme cardiaque même ».
*Lebu : les wolofs du bord de la mer (prononcez « lebou »)