Roy Haynes sort un disque avec John Patitucci à la contrebasse et Danilo Perez au piano, en deux parties : l’une enregistrée en studio, l’autre quatre mois plus tard en concert. Le premier acte : de l’histoire du jazz et de celle du sieur Roy. Que ressent-on lorsqu’on joue avec Roy Haynes, l’une des légendes, bien vivante, du jazz et de la batterie ? Joie ? Fierté ? Accomplissement ? Vibration ? Vertige ? Poussée ? Stress ? Sans doute un peu de tout ça. Notre homme, 74 printemps depuis le 13 mars dernier, a joué avec les pères fondateurs de la musique moderne : Monk, Parker, Powell, Davis, Coltrane ; avec les mères fondatrices : Ella, Sarah, Billie ; avec les fils : Art Farmer, Chick Corea, Kenny Burrell, Phineas Newborn, Gary Burton ; puis les petits enfants : Pat Metheny ou Michel Petrucciani. Mais il n’a pas joué une fois avec chacun d’eux en coulisses à la fin d’un concert. Non, il a aidé la plupart à sublimer leur art et leur technique en leur permettant d’écrire les pages les plus riches de leur parcours artistique. Sans doute parce qu’il a toujours su accompagner, relancer, avec discrétion, efficacité et subtilité, ouvrir la musique plutôt que l’enferrer dans les stéréotypes. Pourtant, son jeu de batterie est reconnaissable, certains coups portant sa signature, même s’il est peut-être le plus difficile à identifier parmi les grands, étant aussi le moins stigmatisé.
Ce grand batteur a voulu dans un album « rétrospective » rendre hommage aux musiciens susmentionnés en reprenant des compositions qu’ils ont créées ou animées et qui, pour la partie « studio » de l’album, éveillent l’intérêt sans susciter l’enthousiasme. On attend beaucoup du Wail de Powell. La prise de son est excellente mais c’est mollasson. Idem de Question and answer de Metheny ; l’accompagnement est réussi et rappelle l’hommage de Monty Alexander à Marley tout en intégrant au passage quelques mesures de Giant steps. Mais le sentiment demeure. Puis les symptômes persistent avec Shulie a bop. On pense à consulter notre médecin avec Dear old Stockholm, en dépit du très beau chorus de contrebasse de Patitucci. Enfin, on se dit avec It’s easy to remember que l’auteur des liner notes, qui considère cet album (sic) comme « the first great jazz trio album of jazz’s second century », est un laudateur qui phrase pour sa paroisse sans entendre que, justement, il manque quelque chose à entendre. Mais on se dit tout ça dans l’ignorance de la possible rémission qu’offre le second acte.
Le second acte : de l’air battu comme un stimulant de l’âme. Le live set enregistré à Boston recèle les trésors que l’on attendait de la réunion des trois musiciens. De Sippin’ at bells de Miles à Prelude to a kiss d’Ellington, en passant par Bright Mississippi et Green chimneys de Monk, le trio s’organise autour d’arrangements originaux de standards plus rares, joués avec une énergie et une inspiration qui emportent l’adhésion et qui rappellent les meilleures pages écrites par la brochette Corea-Vituous-Haynes. La responsabilité de cette transformation échoue principalement à Danilo Perez, qui donne l’impression de s’être libéré du poids qui le rivait au sol au premier acte, et dont les chorus sont plus secs, plus nerveux et légers. En conclusion, on regrette donc que l’ensemble n’ait pas été pris sur le vif de ce très beau concert, où Roy, dopé aux applaudissements, nous laisse à nouveau bouche bée.