Ayant été très tôt estampillé génial héritier de Jaco Pastorius par un Occident borné par l’esprit de dénomination et de catégorisation, il eût été bien logique pour le jeune bassiste camerounais Richard Bona (31 ans) de montrer les biceps dès son premier disque solo, histoire de marquer d’entrée son territoire parmi les Fangio de tout poil de l’instrument.
Bien des amateurs parisiens de vélocité ostentatoire se souviennent en effet du temps où le bonhomme, tout juste débarqué de Douala, taquinait la technique sans tâtonner ni tatillonner dans les clubs d’une capitale alors dévolue à la world et à la fusion, à la fin des années 80 : aux côtés de Salif Keita, Manu Dibango, mais aussi de Didier Lockwood et de Marc Ducret. Parti entre-temps s’installer à New York pour cause de Paris trop étriqué, c’est au sein du Zawinul Syndicate qu’on le (re)découvre en 1996, collaboration dont tout indique alors qu’elle prélude au démarrage d’une carrière haut-de-gamme : directeur musical de Harry Belafonte, sideman chez Larry Coryell, les frères Brecker, Steve Gadd, Brandford Marsalis et Frank McComb entre bien d’autres.
Ceci pour dire qu’on ne trouvera rien de ses contorsions habituelles à la basse dans Scenes from my life, qui réunit douze chansons à la simplicité essentielle, toutes étant le fruit d’anecdotes, d’observations, d’impressions ou de réflexions de cet authentique citoyen du monde. Si l’inspiration est kaléidoscopique (funky sur Djombwe, salsasisante sur Te dikalo, classiciste sur Muna nyuwe, entièrement soutenue par un quintette de cordes), en revanche son empreinte personnelle est indéniable sur l’ensemble des titres, aux arrangements équilibrés, utiles sans exacerbation.
Homme à tout faire (paroles et composition, arrangements, chant, guitare, basse, claviers et percussions), Bona ne s’en est pas moins entouré, pour ce premier CD mature et maîtrisé, d’une quinzaine de musiciens « additionnels », dont quelques-uns de ses plus fidèles témoins de parcours : le nocturne et volontiers énigmatique Jean-Michel Pilc (piano), talent national trop négligé, également parti trouver outre-Atlantique système à sa mesure ; Omar Hakim (dms), jadis dévoyé par Sting ; Mokhtar Samba, batteur-titulaire de l’ONJ de 87-89 ; Michael Brecker (ts) enfin, sorte de Monsieur Jazz-fin-de-siècle-à-New York à lui tout seul.
On souhaite juste que l’agitation dont Bona fait depuis quelque temps l’objet dans le tout petit milieu mondain du jazz ne lui fasse trop vite perdre la tête, comme toute star banalement fugace qui se respecte.
Richard Bona (chant, guitare, basse, claviers, orgue, percussions) ; Jean-Michel Pilc (piano) ; Mokhtar Samba (batterie) ; Alune Faye (sabbar) ; Frédéric Favarel (guitares) ; Aaron Heick (sax alto) ; Stephan Vera (batterie) ; Ari Hoenig (batterie) ; Etienne Stadwijk (claviers) ; Jeremy Gaddie (batterie) ; Edsel Gomez (piano) ; Colette Michaon (flûte) ; Luisito Quinteiro (percussions) ; Omar Hakim (batterie) ; Michael Brecker (sax ténor) ; Membres du New York City Symphony.
Enregistré à New York de novembre 1998 à janvier 1999.
1) Dipita – 2) New bell – 3) Souwedi na wengue – 4) Eyala -5) Djombwe – 6) Te dikalo – 7) One minute – 8) Mona nyuwe – 9) Na mala nde – 10) Konda njanea – 11) Eyando – 12) Messanga